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société arabe en Algérie est dans son ensemble incapable de saisir la distinction de la personne civile et du citoyen. L’intelligence n’embrasse pas spontanément la complexité d’idées que ce mot de citoyen résume ; il lui faut certaines notions préalables des conditions de la vie publique restées étrangères aux peuples élevés à l’école d’un absolutisme théocratique. où il n’y a d’autre loi que la volonté du maître, et où le devoir de l’obéissance s’impose comme une prescription religieuse.

Les Kabyles ont, il est vrai, des traditions plus indépendantes. Ils formaient une république fédérative sans l’institution d’un pouvoir suprême permanent, dont les petits états, vivant dans une indépendance respective et souvent en hostilité réciproque, étaient susceptibles de se réunir dans un dessein commun. Le pouvoir y reposait sur le suffrage populaire. Un conseil élu pour une courte période, présidé par un chef qu’il choisissait lui-même dans son sein, exerçait l’administration intérieure, prenant sur lui le règlement des affaires ordinaires, consultant dans les circonstances graves les citoyens assemblés. Après avoir conquis la Kabylie en 1857, nous respectâmes cet état de choses, qui n’a subi de modification qu’à la suite des insurrections de 1871, et sur certains points du territoire par la création des circonscriptions cantonales, sorte d’organisme qui participe à la fois de la commune et de l’ancien district. Dans toutes les localités où ils forment des agglomérations, soit isolées, soit en concours avec les Européens, les Kabyles ont conservé la faculté de composer par l’élection la djemâa indigène ; elle suffit complètement à leur ambition, et pas plus que les Arabes ils ne souffrent de la privation de ces droits politiques dont notre société ne saurait se passer.

Si l’islamisme a refusé jusqu’ici de transiger avec nous, faut-il désespérer qu’il y arrive jamais ? Nous ne pensons pas qu’on doive se résigner encore à ces conclusions attristantes. Du moins la société musulmane ne saurait aujourd’hui avoir d’autre alternative que de se ranger de ce côté de la civilisation ou de disparaître des contrées qu’elle a été impuissante à défendre.

Si les mœurs devancent souvent les institutions, ici c’est principalement sur l’efficacité des institutions qu’il faut compter pour opérer une transformation que l’influence de notre contact ne suffirait point à réaliser. Elle trouvera sans doute un auxiliaire et un stimulant actifs dans la loi du 26 juillet 1873, qui pose le principe et les règles de la constitution de la propriété individuelle dans les douars, et substitue en même temps, pour régir les modes d’acquérir et de transmettre cette propriété, autres que les successions, la législation française à la loi musulmane. Lorsqu’une contribution