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venait non point de ce que cette délégation se personnifiait à ses yeux dans son président israélite, mais de ce qu’elle constituait un gouvernement civil. C’est ainsi qu’il faut entendre la lettre, orgueilleuse et insultante pour l’autorité française, que de son bordj de la Medjana, où il se sentait momentanément en sécurité, il adressait à un officier auquel il n’eût pas tenu en face avec impunité un pareil langage : « Je ne me soumettrai jamais à un Juif, je n’obéirai qu’à un sabre, dût-il me frapper. » N’est-ce pas là, condensée en une image énergique, toute la théorie féodale sur laquelle reposait l’organisation politique des tribus ?

Dans certains départemens de France, les relations sont plus tendues entre catholiques et protestans qu’en Algérie entre musulmans et israélites. Il ne saurait assurément exister d’affinités sympathiques entre deux races dont l’une aime par-dessus tout l’appareil de la guerre, s’enivre de poudre, professe le culte de la force, et l’autre ne montre d’aptitude que pour les occupations paisibles et pousse même à l’excès ses goûts pacifiques[1]. Toutefois, si la pusillanimité proverbiale des Juifs cause leur déconsidération auprès des Arabes, ceux-ci sont bien obligés de reconnaître sous d’autres rapports leur supériorité. Les chrétiens ont été tolérés dans les pays régis par le Coran, malgré le fanatisme de leurs habitans, parce que les nations chrétiennes pouvaient, en cas de persécution, secourir leurs coreligionnaires ; mais pour que cette poignée d’infidèles, faible, désarmée, sans défenseurs au dehors, facile à anéantir, ait subsisté en Algérie, il fallait qu’une impérieuse nécessité prescrivît sa conservation. De tout temps en effet les musulmans ont dû compter avec les Juifs, parce qu’ils ne pouvaient se passer de leurs services. Comme d’autre part les Juifs ne se fussent pas suffi sans les Arabes, ils tiennent les uns aux autres par les liens de l’intérêt, plus solides que ceux de la sympathie. Les Juifs sont les agens de l’échange universel. Il est dans leur destinée de servir d’intermédiaires entre les peuples, ils faisaient de temps immémorial presque tout le trafic de l’Afrique

  1. Un exemple, entre beaucoup d’autres, de la poltronnerie juive : en 1861, aux abords d’un marché très suivi de la plaine du Chéliff, trois Arabes ne portant que des bâtons dévalisèrent impunément en plein jour dix-sept israélites. L’un d’eux, qui avait des armes et se préparait à en faire usage, se les vit enlever par ses compagnons sur l’injonction des malfaiteurs. Mal lui advint d’ailleurs de cette velléité de résistance, car il subit un traitement ignominieux. Il n’est pourtant pas impossible de trouver de la bravoure chez les Juifs algériens, et nous connaissons tel d’entre eux qui a été décoré pour sa vaillante conduite sur un champ de bataille de la Bourgogne. Les israélites mobilisés avec les miliciens européens pour combattre l’insurrection arabe ne se sont pas moins bien comportés en expédition que leurs compagnons d’armes, dont l’attitude martiale excitait leur émulation.