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saccagèrent leurs magasins. Sauf cet incident, qui eut pour mobile le pillage, non la politique, où donc s’est-on levé en proférant des menaces contre les Juifs ? Pourquoi la province d’Oran, où l’on compte le plus grand nombre d’israélites, et où les influences religieuses dominent parmi les musulmans, est-elle restée dans le devoir, tandis que celles de Constantine et d’Alger prenaient simultanément feu ? Le musulman distingue-t-il d’ailleurs entre ceux qui ne partagent point sa croyance ? est-ce que, s’il nous craint davantage à cause de notre force, il ne nous hait pas à l’égal des Juifs ?

S’il faut opposer des témoignages à des témoignages, ceux qui ont incontestablement la plus grande valeur dans l’espèce dénient à la naturalisation des Israélites toute influence appréciable sur l’insurrection des tribus. Telle est l’opinion formellement exprimée de M. le général Augeraud, qui commandait la division militaire de Constantine quand le soulèvement éclata. On ne saurait certainement suspecter cet officier-général de faiblesse pour les israélites, et il est au contraire ouvertement sympathique aux Arabes, comme la plupart de ceux qui les ont combattus et administrés. Tel est aussi le sentiment de l’honorable député de Constantine, M. Lucet[1]. A l’autorité déjà si péremptoire de ces attestations émanées de deux hommes que les circonstances rendirent constamment adversaires, mais devant l’un et l’autre à un séjour de plus de vingt années en Algérie de connaître parfaitement la pensée de ses habitants, s’ajoute la force de témoignages fournis par les intéressés eux-mêmes. Ce sont des membres considérables de la communauté musulmane qui les ont donnés. Au mois de mai ou de juin 1871, au plus fort de la lutte contre l’insurrection, quelques notables israélites de Constantine, émus outre mesure du langage agressif d’une certaine presse intéressée à donner à l’opinion publique le change sur les causes de la révolte, qu’elle avait en partie provoquée par ses attaques inconsidérées envers l’autorité et envers l’armée, demandèrent un avis sincère à leurs concitoyens musulmans. Ceux-ci ne firent pas attendre la réponse. « Nous voyons personnellement sans peine votre naturalisation ; elle n’apporte aucun trouble dans l’existence de nos coreligionnaires, et n’excite en rien leur jalousie. » J’ai vu de mes yeux la pièce, délivrée dans des circonstances qui ne permettaient pas de se méprendre sur la portée de cette déclaration catégorique : elle était revêtue de la signature et du cachet des personnages les plus autorisés à parler au nom de l’indigénat musulman provincial[2].

  1. Voyez à cet égard les déclarations de MM. Augeraud et Lucet, dans la partie principale de l’enquête parlementaire, le tome II, qui contient les dépositions des témoins.
  2. J’en possédais un double, que je crois avoir laissé à la préfecture de Constantine.