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sénatus-consulte demandait tout d’une voix à être naturalisée en masse, se montrait ensuite disposée avec un égal ensemble à s’abstenir. Les personnes qui suivaient avec intérêt le mouvement des naturalisations voyaient les rares partisans que notre droit de cité conservait encore parmi ce groupe indigène oser à peine avouer leurs sentimens en présence de l’attitude de leurs coreligionnaires. Aucun événement politique capable d’expliquer un si subit et si complet revirement ne s’était produit dans l’intervalle. Cependant des évolutions populaires qui offrent un tel caractère d’unanimité ne sauraient s’accomplir sans raison.

Le sénatus-consulte avait en effet engendré cette réaction en créant un état de choses compliqué et obscur que la majorité des israélites jugeaient plus avantageux à leurs intérêts que ne l’eût été la naturalisation. Avant cette date, les Juifs vivaient en Algérie dans une condition déjà très difficile à définir légalement. Ils n’avaient pas, comme les Arabes, une administration et des tribunaux propres. Administrativement ils étaient incorporés dans la commune française, ayant au conseil municipal et même aux conseils-généraux des représentans de leur religion nommés par l’autorité. En matière judiciaire, depuis la suppression des tribunaux rabbiniques (1842), leurs contestations ressortissaient à la justice française, et notre législation civile les régissait. Toutefois, en leur rendant notre code applicable, on les avait, par tolérance religieuse, laissés en possession des statuts mosaïques concernant le mariage et l’état des personnes. Quand les juges français avaient à prononcer sur des questions de cet ordre, ils étaient tenus, quoique gardant plénitude d’appréciation, de prendre avant de statuer l’avis des rabbins, formés en conseil ad hoc. Le législateur, hésitant à décréter l’assimilation complète, avait introduit ce tempérament afin d’adoucir le passage d’un état légal à un autre, d’une condition exceptionnelle au droit commun. Il s’établissait alors une jurisprudence pour suppléer aux lacunes de la loi, et pour indiquer les principes que le législateur devrait ultérieurement consacrer. Déjà la magistrature avait posé dans ses décisions un ensemble de règles qui s’acceptaient sans difficulté ; le sénatus-consulte, qui devait les fixer, eut pour effet de les confondre toutes.

Le sénatus-consulte déclarait Français les israélites, mais en édictant qu’ils demeureraient en jouissance de leur statut personnel jusqu’à ce qu’ils eussent obtenu sur leur demande la qualité de citoyens français. Le vague inséparable de ces mots de statut personnel en rendait périlleuse l’introduction dans la loi. L’on sait qu’ils reçoivent une double acception, qu’ils comprennent dans leur sens le plus étendu le statut général des personnes,