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récoltés dans la même campagne étaient certainement dus aussi pour les cinq sixièmes au moins aux indigènes. Personne n’ignore que cette différence ne témoigne pas de la supériorité agricole de ces derniers, dont le travail est loin au contraire de valoir celui des colons ; elle résulte de la disproportion des superficies départies à la colonisation et à l’indigénat, et l’écart serait infiniment plus considérable, si l’on usait de chaque côté des mêmes procédés de culture.

S’il y a un enseignement à tirer de ces chiffres, c’est évidemment que nous sommes dans l’impossibilité de vivre en Algérie sans l’indigénat. Posséderions-nous cependant les moyens de nous passer de son concours, aurions-nous une immigration française ou européenne toute prête à le remplacer sur les espaces occupés par lui, qu’indépendamment même de toute considération d’humanité la reconnaissance et l’intérêt nous feraient un devoir de conserver cette race pour les services économiques qu’elle nous a rendus jusqu’ici, pour la part fraternelle qu’elle a prise à nos luttes et qu’elle y prendrait encore très utilement à l’occasion. Malheureusement elle sera pour nous un danger permanent en même temps qu’un auxiliaire indispensable, tant qu’on n’aura point brisé le lien qui unit entre elles les tribus. Quel moyen de rendre acceptable et désirable à la masse des indigènes une naturalisation qui résoudrait ce problème ? Examinons la situation qu’elle fait aux deux élémens dont se compose l’indigénat : les israélites et les musulmans. On verra comment le législateur a pu prendre pour les premiers une mesure d’ensemble qu’il serait pour le moment impossible d’étendre aux seconds, et pourquoi les musulmans doivent, sous le régime du sénatus-consulte, trouver plus d’avantage à ne point changer d’état qu’à devenir citoyens français. On jugera par suite des difficultés que rencontre l’application de notre droit commun dans les tribus, du mérite comparatif des méthodes destinées à l’y introduire et des espérances d’assimilation qui nous sont permises.


I. — Indigènes israélites.

Dans son rapport sur le sénatus-consulte, M. Delangle s’exprimait ainsi : « Le moment n’est pas loin où une population chez qui le sentiment de l’honneur est ardent ressentira un légitime orgueil à partager sans restriction les destinées d’une nation qui tient dans le monde civilisé une si grande place ; mais, en supposant que ce ne soit là qu’une illusion quant aux Arabes, on peut affirmer d’avance que les plus riches et les plus considérés parmi les israélites se montreront impatiens de pénétrer dans la voie qui leur est ouverte…