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ritualisme confine au catholicisme, la basse église à la dissidence calviniste, l’église large a pour voisins immédiats les unitaires. N’est-ce pas la preuve qu’ils sont plus « vieux anglicans » qu’ils ne le pensent, et que bientôt la hardiesse, la logique, la décision leur manquerait, s’ils étaient mis en demeure de procéder à la réforme qu’ils appellent de leurs vœux ? Cette école, aristocratique intellectuellement, peut bien, à l’ombre du grand édifice où elle est parvenue à se caser sans faire crouler trop de pierres de façade, contribuer à retenir dans l’église un certain nombre d’esprits distingués, ce ne sera jamais une religion populaire.

Nous nous bornerons à mettre en regard les deux ordres de considérations. Si l’Angleterre nous montrait à tous comment, sous l’égide et au moyen de la liberté complète, une réconciliation peut s’opérer entre la pensée moderne et la vie religieuse, elle rendrait au monde un tel service que ses gloires passées pâliraient à côté de cet immense bienfait. L’église, sous une forme quelconque, est toujours et sera longtemps encore un des élémens nécessaires de la vie sociale. On confond trop souvent les destinées du christianisme avec celles de l’église. On croit qu’ils sont solidaires et qu’ils disparaîtraient ensemble ; on se trompe. Le christianisme comme principe religieux et moral pourrait parfaitement survivre à toute église chrétienne, et de nos jours il ne manque pas de chrétiens qui, s’ils n’avaient à prendre conseil que de leurs besoins personnels, pourraient très aisément se passer d’église ; mais la question change singulièrement de face, quand on la discute au point de vue de la famille, des classes ignorantes et de la vie sociale. On arrive alors à se demander comment il serait possible de les concevoir privées de toute institution religieuse commune. Voilà l’impasse dans laquelle s’agite notre siècle. D’un côté l’église est indispensable, de l’autre on dirait qu’elle ne peut prendre son parti de notre vie moderne. Je pense que, si les membres les plus ardens des églises multiples qui se partagent l’Europe parvenaient à comprendre qu’il leur faut faire des sacrifices, s’ils veulent préserver leurs sanctuaires ébranlés d’un effondrement complet, bien des difficultés seraient d’avance résolues. Malheureusement on dirait qu’à cette heure, dans la plupart des communions chrétiennes, c’est un esprit, ce sont des prétentions tout autres qui prévalent. On dit souvent que toute église est nécessairement intolérante : c’est une erreur, démentie par les faits, car il y a des églises très tolérantes ; mais il y aurait pour nos églises d’Europe un péril plus grave encore que celui qu’elles courent en persistant à rester intolérantes, ce serait qu’elles devinssent intolérables.


ALBERT REVILLE.