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III

Qu’était-ce donc que le volume incendiaire qui provoqua d’un bout à l’autre du monde anglais, y compris l’Amérique du Nord, une crise religieuse dont les conséquences sont encore loin d’être amorties ? En vérité, quand on ouvre aujourd’hui ce livre, objet de débats si passionnés, on ne peut que s’étonner de tout le bruit qu’il a fait. Nous étions déjà sur le continent habitués à des travaux de critique religieuse bien autrement hardis et tranchans.

Cette grande émotion pourtant s’explique, si nous nous rappelons ce que nous avons dit de l’extrême intensité du culte voué à la Bible dans le monde anglais. On bataillait depuis longtemps entre anglicans et dissenters, puséistes et évangéliques ; mais la Bible, mais l’inspiration miraculeuse, l’autorité surnaturelle du livré sacré, restaient toujours hors du débat. C’était la reine who can do no wrong. On entendait bien de temps à autre parler de certains courans de doctrines qui transportaient ces questions sur un terrain tout nouveau. Le grand public ne leur avait pas encore accordé son attention. Les vues religieuses de Thomas Arnold n’étaient pas très claires, le libéralisme d’un Whately n’était pas moins à cheval sur les textes bibliques que l’orthodoxie de ses adversaires. Avec tout cela, l’esprit de la critique commençait à envahir la classe instruite. La Revue d’Edimbourg, surtout la Revue de Westminster, lui avaient ouvert des canaux de grande circulation. Chose à noter, notre Revue de théologie de Strasbourg avait trouvé en Angleterre un accueil relativement très sympathique. En un mot, il n’y avait pas encore de mouvement décidé dans le sens de l’émancipation de la lettre, mais il y avait un commencement d’ébranlement. La grande signification des Essays and Reviews est due surtout à ce qu’ils coïncidèrent avec ces premiers symptômes. Ce fut le tour de roue du vapeur encore à quai, mais qui sonne le dernier coup de cloche et qui va démarrer.

Ils étaient sept essayists, tous, à l’exception de M. Goodwin, savant naturaliste, membres du clergé anglican. C’étaient MM. Jowett, professor regius de grec à Oxford, Baden Powell, professeur de géométrie, Pattison, recteur de Lincoln-Collège dans la même université, Temple, directeur de la célèbre école de Rugby et chapelain de la reine, le pasteur Wilson, enfin notre bonne connaissance Rowland Williams. Tous ces noms marquaient déjà dans l’aristocratie scientifique de l’Angleterre. Groupés pour la première fois en faisceau, sans assumer, il est vrai, aucune solidarité de vue, ils lançaient en réalité le manifeste d’une tendance nouvelle dont le programme pouvait se définir en ces trois points : 1° nécessité d’une