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un degré supérieur l’art de diriger intellectuellement et moralement la jeunesse. A la tête d’une de ces grandes institutions pédagogiques qui sont l’honneur de l’Angleterre, il sut inspirer ses idées à la fois très larges et très religieuses à toute une élite juvénile qui devait plus tard fournir un nombreux contingent d’hommes distingués dans les sciences, les lettres et la politique de son pays. L’histoire grecque et romaine fut l’objet proprement dit de ses travaux scientifiques, et sur ce terrain il redressa beaucoup d’idées traditionnelles. Il éveilla le sens vrai de l’antiquité. En religion, il fut en quelque sorte l’inventeur de la broad church contemporaine, en ce sens qu’autant il aimait l’église établie, toujours prêt à prendre sa défense, autant il était convaincu de la nécessité d’en élargir les bases, si l’on ne voulait pas la voir sombrer comme un navire percé de part en part. C’est au fond par esprit de conservation qu’il était novateur. Il voulait une église nationale assez large, assez tolérante, pour être l’éducatrice religieuse de toute la population chrétienne, et se rattacher, quelles que fussent ses opinions théologiques, tout homme de religion sincère. C’est un point de vue qu’il légua à ses plus intimes disciples, toutefois sans leur avoir montré très clairement le moyen d’en arriver là.

Thomas Arnold eut un allié dans l’archidiacre Hare, traducteur de Niebuhr, plus tard ami du chevalier de Bunsen, et qui, dans ses œuvres religieuses, fit preuve d’une familiarité rare encore en Angleterre avec les travaux théologiques de l’Allemagne. Avec lui commence l’élaboration théologique proprement dite du libéralisme anglican. Il put avant sa mort (1855) assister à l’épanouissement de toute une pléiade de savans théologiens et d’orateurs animés du même esprit de largeur émancipatrice, et parmi lesquels nous pouvons citer MM. Trench, Kingsley, Conybeare, Temple, Jowett, et en première ligne l’éloquent et fin M. Stanley, doyen de Westminster, que l’on peut considérer aujourd’hui comme le champion le plus éminent de la broad church. Il n’y a désormais aucune indiscrétion à ajouter que, sans se départir de l’extrême réserve qui a toujours caractérisé sa conduite, la reine Victoria penche plus volontiers vers l’église « large » que vers l’église « haute » ou « basse. » Son mari, le prince Albert, était lui-même très décidé pour le libéralisme religieux. Enfin l’influence personnelle acquise par M. de Bunsen pendant son ambassade à Londres, de 1841 à 1854, contribua dans une large mesure à familiariser la haute société anglaise avec des notions sur les livres saints que peu d’années auparavant elle eût écartées avec effroi comme autant d’allégations révoltantes de ce qu’on appelait la german infidelity.

Mais le libéralisme anglican est tellement sui generis qu’il est absolument impossible de s’en former une idée claire, si on ne le