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leur eût fait l’effet d’une inspiration du diable, et Dieu sait la place que tenait le diable dans la religion de ce temps-là !

Cependant dès la première moitié du XVIIe siècle on voit poindre un esprit nouveau de largeur et de tolérance dont on peut faire remonter le premier rayonnement à ce lord Falkland, d’abord très hostile au favori Strafford, puis secrétaire d’état du roi Charles Ier, dont il s’était rapproché dans l’espoir de le sauver. C’était un homme essentiellement modéré en politique et en religion, très lettré, très érudit, d’un commerce charmant, et son influence morale agit longtemps encore après lui sur le cénacle de savans, de théologiens et de littérateurs qui s’était formé sous son patronage. Depuis lors on peut citer des noms tels que ceux de John Hales d’Eton, qui introduit la distinction entre la religion et le dogme, qui veut que la Bible soit interprétée comme tout autre livre, et qui aime à répéter que, pour conclure à la damnation des gens, il faut la désirer dans son cœur, — de Chillingworth, d’abord gagné au catholicisme, puis revenu à l’église anglicane et si tolérant dans l’exercice des hautes fonctions qu’il exerça comme chancelier de Sarum (Salisbury), qu’il fut accusé de socinianisme, — de Jérémie Taylor, grand apôtre, lui aussi, de la tolérance et partisan de la liberté des opinions individuelles à l’intérieur de l’église, — de Stillingfleet, auteur d’un Irenicum, c’est-à-dire d’une espèce de traité de paix entre les partis religieux où Il cherche à les faire vivre dans des sentimens de respect mutuel et de concorde sans préjudice de leurs opinions préférées. Ce sont bien là les ancêtres de « l’église large, » de la broad church d’aujourd’hui, lors même qu’on ne pourrait sans anachronisme leur attribuer nos idées modernes en fait de critique et de philosophie religieuse[1].

Vers le même temps, c’est-à-dire vers le milieu du XVIIe siècle, Cambridge fut le foyer d’un mouvement philosophique foncièrement platonicien, se nourrissant aussi de Bacon et de Descartes, et dont Benjamin Withcote, John Smith, Cudworth, Henry More, quelques autres moins connus, furent les représentans les plus distingués. C’est à leurs travaux que la science religieuse en Angleterre dut d’échapper enfin à l’étau où la resserrait l’éternelle dispute du prélatisme et du puritanisme. Des conceptions nouvelles élargirent l’horizon de la théologie courante, et il fut désormais bien difficile, du moins au sein des classes instruites, de faire dépendre le salut des âmes des infimes shiboleths qui faisaient aux générations antérieures l’effet de questions capitales. Leurs apologies de la

  1. A ceux qui voudraient réunir des renseignemens plus circonstanciés sur ces premiers défenseurs de la tolérance dogmatique en Angleterre, nous recommandons l’ouvrage érudit et agréable à lire du Dr J. Tulloch, intitulé Rational Theology in England, 2 vol., Londres 1874.