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ancien recueil indien, le Çukasaptati, qui n’a jamais été publié intégralement ; la traduction la moins incomplète qu’on en connaisse est en langue romaïque, et a été publiée en 1851, dix-huit ans après la mort du traducteur, Démétrius Galanos. Dans ce recueil où ont puisé de tout temps les conteurs de tous les pays, et d’où est sorti le plus ancien des décamérons européens, le Livre des Sept-Sages, on trouve une femme qui, en l’absence de son mari, brûle d’aller rejoindre son amant, mais elle est retenue dans sa maison et dans son devoir par un perroquet qui lui raconte des histoires amoureuses. La Messia, qui ne sait pas lire, n’a jamais entendu parler du Çukasaptati ; d’où lui vient donc la légende de son perroquet ?


Voici un dernier conte qui ne déplaira pas aux amateurs du mythe solaire. Comme il est court, nous pouvons le traduire littéralement ; il est intitulé l’Horloge du Barbier.

« On conte et on raconte à ces messieurs qu’il y avait une fois un barbier ; ce barbier avait une horloge qui cheminait et cheminait depuis des siècles et ne s’arrêtait jamais et ne manquait jamais l’heure, sans qu’on eût besoin de la remonter. Le barbier l’avait réglée une fois, et dès lors, toujours et sans cesse, tic tac, tic tac, tic tac. Ce barbier était vieux, vieux, et ne savait plus lui-même combien il avait de centaines d’années… Tous ceux du pays couraient à lui dans sa boutique pour demander à l’horloge, qui était enchantée, les choses qu’ils voulaient savoir. Venait le paysan, fatigué et amer, car il avait besoin d’eau pour ses semailles, et voyait encore fermées les portes du ciel. Et l’horloge répondait (en vers) : — Tic tac, tic tac, tic tac. — Tant que je serai rouge, — l’eau ne doit pas venir, et le domaine est à moi. — En tonnant, en tonnant, s’il ne pleut pas cet an-ci, il pleuvra l’autre.

« Venait le pauvre vieux, appuyé sur son bâton, pris par l’asthme au point qu’il n’en pouvait plus, et il demandait : — O horloge, horloge, dis-moi, y a-t-il beaucoup d’huile à ma lampe ? — Et l’horloge aussitôt : Tic tac, tic tac, tic tac. — De soixante à septante, — l’huile s’écoule dans la lampe. — Après l’an septante-un, la mèche seule s’allume péniblement.

« Venait le garçon féru d’amour, galant et pimpant, tout battant neuf, riant, faisant bombance, et s’avançant vers l’horloge : — Horloge, dis-moi, y a-t-il quelqu’un qui vogue plus heureux que moi au royaume d’amour ? — Et l’horloge alors : — Tic tac, tic tac, tic tac. — Ce roi n’a pas de jugement ; — aujourd’hui heureux, demain dans l’abîme ; — aujourd’hui faisant figure, — demain dans le tombeau.

« Vient et vient le malandrin de première classe, le chef camorriste de la vicaria (prison), tout houppe et toupet, tout boutons et bagues, et