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signes étranges tracés sur le parchemin se mirent à tourbillonner dans l’air et à danser en hurlant une ronde infernale. « Tu nous as évoqués, dirent-ils à Merlin (exactement comme l’Esprit de la terre au docteur Faust), que nous veux-tu ? — Que la route soit pavée de Naples à Rome. » Aussitôt la voie Appienne se couvrit de dalles qu’on peut voir encore à Pouzzoles, à Cume et au-delà.

Ce livre enchanté avait d’abord appartenu à un autre sorcier nommé Zabulon, qui l’avait caché dans le nez d’un géant d’airain sur la montagne aimantée. Virgile s’embarqua pour l’aller prendre, mais il eut à subir toute sorte d’épreuves et de malheurs ; les sirènes endormirent les navigateurs avec leurs chansons fatales, et des crocodiles et des griffons les traînèrent endormis à l’autre bout de la mer ; plus tard, la montagne aimantée attira les clous de la barque, dont les planches disjointes s’éparpillèrent de tous côtés. Puis il fallut vaincre le géant qui se dressa de toute sa hauteur en brandissant une massue formidable ; mais Virgile possédait un anneau enchanté dans lequel Aristote avait enfermé un méchant esprit marin sous la forme d’une mouche, et il put, grâce à cet anneau, s’emparer du livre sibyllin. C’est à Naples surtout, ville fondée par lui, comme on sait, que l’enchanteur fit des miracles. Il y créa une école, la Scuola di Virgilio, qu’on montre encore au pied du Pausilippe ; il y enseignait la nécromancie, science où il était de première force : il la tenait d’un démon qu’il avait tiré de la fente d’un rocher. Quand il eut appris de ce démon tout ce qu’il voulait savoir, il le remit dans la roche. Virgile creusa de plus des égouts, construisit les aqueducs de Naples, fit jaillir l’eau soufrée de Santa-Lucia, qui était d’abord de l’huile ; aussi l’église défendait-elle d’en boire le vendredi et le samedi. On lui doit enfin les bains de Pouzzoles, qui guérissaient de tout, comme l’attestaient des inscriptions, des peintures et des sculptures dont on voit encore des traces. C’est pourquoi les médecins de Salerne, ruinés par la concurrence, partirent une belle nuit sur une barque et allèrent détruire les thermes de Virgile et le temple de Sérapis, où cette hydrothérapie était une sorte de religion ; on voit encore les ruines des bains et du temple. Les allopathes de Salerne, après ce bel ouvrage, remontèrent sur leur barque pour s’en retourner chez eux, mais ils furent assaillis par une tempête et périrent tous.

On n’en finirait pas, si l’on voulait dire tout ce que Virgile fit à Naples : un étal de boucherie où la viande ne se corrompait jamais, un jardin à Pausilippe entouré de murs invisibles et infranchissables : les fruits et les fleurs y pullulaient en toute saison au milieu de plantes merveilleuses, d’herbes salutaires, dont la plus rare, celle de Lucius, rendait la vue aux moutons aveugles, — une trompette qui sonnait d’elle-même les jours de siroco et qu’on entendait