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grotte, prit un fer très grand, pointu, pointu, le fit rougir au feu et l’enfila dans le cou du plus grand des moines, il le brûla, et voulut le manger en compagnie du petit. — Je ne veux pas manger, je n’ai plus faim, dit le petit. — Lève-toi, sans quoi je te tue.

« Le pauvret, transi de peur, se leva, se mit à table ; il prenait, le pauvret, un petit morceau, et faisait semblant de le manger et le jetait à terre. — Marie ! je n’ai plus faim, bien vrai.

« A la nuit, le bon chrétien (lu banientu) prend le fer, le réchauffe et le lui plante (à l’animal) dans les yeux, et les yeux lui jaillirent dehors. — Ah ! que tu me tues ! — Le bon chrétien se blottit de peur dans la laine des moutons ; l’animal à tâtons va ôter la pierre de la grotte et en sort tous les moutons un à un. Vint le mouton où était le bon chrétien, et le bon chrétien n’y était plus (dans la grotte). Il s’en alla à Trapani, en mer. Il y avait à Trapani toutes les barques et les marins. Il dit : — Faites-moi mettre là dedans, et je vous en tiendrai compte. — Il se mit dans une barque, l’animal alla pour le repêcher, et les marins firent courir la barque (à toutes rames). Tandis qu’il court (le moinillon), il prend une pierre dans sa poitrine, et lui (l’animal), qui était aveugle, tomba et se cassa la tête. Le moinillon s’en fut, et l’animal resta là.

« Et l’histoire est finie. »


Qu’aurait dit Guillaume Grimm, qui a écrit la légende de Polyphème, en entendant l’histoire du cyclope racontée ainsi, dans l’île où elle s’est passée, après tant et tant de siècles, par une petite fille de huit ans !

Voici encore un souvenir des temps antiques : ici nous sommes forcés d’abréger le récit, un peu chargé de détails, mais nous en conservons l’allure et le mouvement. Le conte est intitulé le roi Cristal.


« Il y avait une fois un père et trois filles qui n’avaient rien à manger. La grande fille dit à son père : — Allez chercher ma fortune. Allez chez une dame (et elle la lui nomma) et demandez-lui un quarteron de vin : nous verrons alors si j’aurai du bonheur. — Ainsi fit le père, et la dame, à la première demande, lui donna le vin à la condition qu’il lui apporterait de la verdure (des légumes). Ainsi fut fait. Puis la fille moyenne dit à son père : — Vous avez pensé à ma sœur aînée, pensez aussi à moi et demandez-lui une galette en mon nom. — Ainsi fit le père et il paya aussi la galette en verdure. La plus petite à son tour : — Pensez à moi maintenant ; allez demander en mon nom un peu de monnaie pour mes dépenses. — Le père alla chez une autre dame et obtint aussi l’argent en promettant de la verdure ; il s’en revint tout joyeux en disant qu’il avait trouvé la fortune de ses trois enfans. Le lendemain, comme il allait dans la campagne pour chercher de la verdure, vint à tomber une grosse pluie, et