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famille, et peuvent changer un jeune prince en anneau d’or afin que la princesse aimée le puisse passer à son doigt.

Parmi les esprits malfaisans, les plus féroces sont les dragons femelles, affamés de chair humaine. Quant aux démons, ce ne sont pas positivement des divinités infernales ; ce sont des êtres indéfinis dans le monde de la magie ou de la sorcellerie : ils dépendent d’un magicien qui les évoque à son gré. Les Siciliens n’aiment pas à nommer le diable ; ils le désignent sous les sobriquets de maître Paul, de cousin Martin ou Martinet. Tel est le personnel des féeries ; les aventures qui s’y passent n’ont guère varié depuis le moyen âge jusqu’à nos jours : descentes dans des souterrains dont l’entrée est masquée par un chou, par un champignon monstre ou par des broussailles, voyages très longs, ordinairement à pied, où l’on use, en marchant toujours, jusqu’à sept paires de souliers en fer, batailles nocturnes (toutes les actions importantes se font de nuit) contre des êtres fabuleux et des animaux fantastiques, jardins enchantés comme l’île d’Alcine, maisons habitées par des cannibales, grandes villes silencieuses dont les habitans remuent sans respirer, enfin tout ce que l’Arioste, Boiardo, les romanciers de la Table-Ronde, ont trouvé dans leur tête ou dans les traditions de l’extrême Orient ; puis, au milieu de tout cela, quantité de légendes chrétiennes. Le Juif-Errant par exemple apparaît sous le nom de Buttadeo (rejette Dieu) non-seulement dans les anciens contes, mais encore dans les récits tout frais que se font entre eux les Siciliens. « C’était en hiver, disait récemment une fille de Salsaferuta ; mon père était dans une boutique en train de se chauffer ; entre un homme qui n’était pas habillé comme les gens du pays : son bonnet et ses chausses étaient rayés de bandes jaunes, rouges et noires. Mon père en eut peur : qu’est-ce donc que cet homme ? — Ne crains rien, répondit l’étranger ; je me nomme Buttadeo. » Le bonhomme, se souvenant de ce nom, invita le nouveau-venu à s’asseoir et lui demanda le récit de ses aventures. ; mais Buttadeo ne put prendre place au foyer parce qu’il était condamné par Dieu à marcher toujours, et tout en parlant il parcourait la chambre dans tous les sens, avançant et reculant avec une agitation incessante. En partant, il voulut laisser à l’homme un souvenir, et lui indiqua « une dévotion, » la formule de « cinq credo à la main céleste et d’un sixième à la main gauche de Jésus. » Il existe, dans les contes siciliens, un autre Juif également condamné à marcher toujours, mais dans un souterrain, c’est Malchus qui donna un soufflet à Notre-Seigneur avec une main gantée de fer. Jésus n’en fut point offensé et ne poussa aucune plainte ; mais depuis lors le sacrilège tourne continuellement autour d’une colonne qui s’élève au milieu d’une chambre ronde : il ne mange ni ne dort, ne connaît aucun des besoins de la vie, et tourne, tourne,