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qui fut capitale, tourne en dérision tous les provinciaux, qui à leur tour font des gorges chaudes en parlant des Palermitains ; le Mont-Eryx trouve Trapani parfaitement ridicule, et Trapani s’en venge en racontant les victoires de ses habitans sur les maris de Mont-Eryx. En revanche, tous les Siciliens se mettent d’accord pour se gausser des Calabrais et surtout des Napolitains, qui furent leurs maîtres. Les contes populaires sont pleins d’anecdotes attestant l’incontestable supériorité des insulaires sur les hommes du continent. Tout Sicilien aime avant tout la Sicile, « l’île de feu, » qui fut le grenier de l’Italie et la patrie de Cérès. « Un jour, dit une chanson populaire, Dieu le père était content et se promenait dans le ciel avec les saints ; il voulut faire un présent au monde, il arracha un diamant de sa couronne et le plaça en face du levant. Les peuples l’appelèrent Sicile, mais c’est le diamant du Père éternel. »


II

Nous revenons à la fantaisie, tout chemin y mène dans les contes siciliens. Les plus nombreux sont des contes de fées qui se passent entre ciel et terre, non sans envahir la terre et le ciel ; mais dans le monde possible les conteurs cherchent les personnages les plus haut placés : il y avait une fois un roi et une reine. Au-dessous des souverains, on n’admet guère que des princes. Les illettrés sont naturellement monarchistes et ne reconnaissent d’autre supériorité que celle du rang. Ces petits princes naissent d’ordinaire assez nombreux ; le plus intéressant est toujours le plus jeune. C’est lui qui fait tous les exploits, c’est à lui qu’arrivent tous les malheurs. Il descend dans les souterrains, tue les dragons et les géans, délivre les princesses enchantées et reçoit de leurs mains un fruit d’or. Un aigle auquel il a fait du bien arrive à propos pour le prendre sur ses ailes et le ramener sur la terre. Le plus jeune veille la nuit sur le jardin de son père et en chasse les voleurs et les brigands, qu’il poursuit jusque dans les abîmes. Il s’élance aux plus hautes régions pour y trouver la plume de l’oiseau bleu, descend jusqu’au fond de la mer et en rapporte le cheveu d’or ; il enferme le magicien dans les fentes d’un rocher ; il triomphe à la fin de tous les obstacles, de toutes les infortunes ; il est rare que le premier trône du monde et la plus belle fille d’empereur ne lui soient pas réservés. C’est pareillement la plus jeune des sœurs qui est l’héroïne du conte. Elle est la victime de sa mère, de ses frères et surtout de ses sœurs ; on la relègue au foyer comme Cendrillon, on lui impose les travaux les plus durs, on l’humilie, on la maltraite sans miséricorde ; mais, douce et forte, elle supporte tout sans murmurer. Malheur à elle si elle a des belles-sœurs et une belle-mère ; celle-ci, plus hideuse