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guettaient des chasseurs qui, retournant leurs fusils contre le crieur malavisé, le rouèrent de coups de crosse. « Comment donc fallait-il dire ? demanda-t-il en pleurant de plus belle.. — Il fallait dire : Seigneur, faites-les tuer ! » Giufà n’oublia pas le conseil et, s’étant remis en route, ses tripes à la main, rencontra deux hommes qui se disputaient. « Seigneur, faites-les tuer ! » s’écria-t-il. Les deux hommes, qui allaient se battre, peu satisfaits du souhait, tombèrent. sur Giufà qui, pleurant toujours plus fort, renouvela sa question. « Il fallait dire : Seigneur, faites-les séparer ! » répondirent les deux rustres. Giufà se le tint pour dit et passa devant une église juste au moment où en sortaient deux mariés avec les gens de la noce. « Seigneur, faites-les séparer, » cria-t-il. Nouvelle volée de coups de bâton ; le malheureux criait en se débattant : « Comment donc fallait-il dire ? — Seigneur, faites-les rire ! » répondirent les mariés furibonds. Giufà poussa ce dernier cri en passant devant un mort entouré de gens en larmes. Ce ne fut pas la dernière de ses mésaventures ; il était parti le matin pour aller laver ses tripes et ne rentra que le soir chez son maître, le tavernier, qui le mit dehors.

L’autre personnage comique est le valet malin, facétieux et retors, qui se moque de ses maîtres et de tout le monde, celui que notre Molière a fait venir de Naples et qu’il a baptisé Scapin. Les Siciliens le nomment Firrazzano, et lui prêtent toutes les niches, lazzis, bons ou mauvais tours que jouent à Turin Gianduja, Arlequin à Bergame, Crispin, Covielle, Mascarille et tant d’autres sur les théâtres de tous les pays. Ses méfaits rempliraient des volumes. Le fripon est mort impénitent, à ce qu’affirme la légende. Le confesseur qui était venu l’assister à ses derniers momens lui disait la phrase consacrée : — Firrazzano, mon fils, il y a mort et vie, et le Seigneur vient par grâce. Pense combien tu en as fait au Seigneur ! — Cela est vrai, répondit le moribond ; mais ce que le Seigneur me fait en ce moment, je ne l’oublierai jamais.

Les Italiens admirent beaucoup ce fripon de Firrazzano. Ne leur jetons pas trop la pierre ; dans cette île, où le peuple n’a jamais été souverain, ni même indépendant, il n’a jamais pu opposer à la prépotence des grands que la force des petits, la ruse. Aussi ses contes sont-ils pleins de stratagèmes et de fourberies ; les dupes doivent duper à leur tour pour devenir sympathiques. Un jour, raconte-t-on à Palerme, un étranger voyageait pour ses affaires ; il s’arrêta dans une auberge, et s’aperçut trop tard qu’on avait oublié de mettre sur sa note deux œufs cuits durs qu’il avait mangés. Retourner à l’auberge eût été une grande perte de temps ; le voyageur préféra faire des affaires avec le prix des œufs, et, à son retour le remettre à