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répugnance à l’employer. Un clerc de ce temps, que l’autorité ecclésiastique poursuivait pour avoir fabriqué de faux actes de sainte Thècle et les avoir mis sous le nom de saint Paul, répondit avec une grande candeur aux reproches qu’on lui adressait qu’il l’avait fait par amour pour l’apôtre, amore Pauli ; on l’étonna sans doute beaucoup en le punissant, il croyait plutôt mériter quelque récompense. Les auteurs après tout avaient souvent de bonnes raisons pour ne pas mettre leur nom au livre qu’ils publiaient ; en réalité, il ne leur appartenait guère. Ils s’étaient contentés, pour le composer, de recueillir ce qu’ils entendaient dire. Ces légendes, dont on ignorait la source, avaient longtemps couru la société chrétienne, enrichies sans cesse d’incidens nouveaux dans le voyage, avant qu’on s’avisât de les écrire ; elles appartenaient donc à tout le monde, et celui qui les rédigeait ne se croyait peut-être pas le droit de se les approprier. Il ne voulait pas non plus les laisser anonymes de peur de leur ôter toute créance. C’est ainsi qu’il était amené à leur donner pour auteur quelque personnage respectable afin de les rendre plus efficaces.

Parmi les ouvrages de ce genre, il n’en est pas qui aient joui de plus de célébrité que les évangiles apocryphes. Ces évangiles, dont le nombre fut alors très considérable, peuvent se diviser en deux classes. Les uns étaient l’œuvre d’hérésiarques qui, se couvrant du nom des apôtres ou des premiers saints, les avaient composés et répandus pour soutenir leurs opinions. Ceux-là sont aujourd’hui perdus ; l’église victorieuse les a proscrits pour détruire le souvenir des erreurs qu’ils contenaient, et il ne reste d’eux que de courtes citations conservées dans les ouvrages de controverse. Les autres ne renfermaient pas de discussions dogmatiques ; ils racontaient seulement des récits merveilleux sur le Christ et sa famille. Comme ils étaient conformes à la doctrine de l’église et respectueux pour sa hiérarchie, elle ne leur a pas été sévère. Elle s’est contentée de ne pas les placer parmi ses livres sacrés, qui contiennent la règle de ses croyances, mais comme ouvrages d’imagination et d’édification elle les a laissés vivre. Nous en possédons aujourd’hui onze ou douze, et ce nombre s’accroîtra sans doute quand nos savans auront visité avec plus de soin les bibliothèques de l’Orient chrétien.

On se rend compte aisément du besoin qui les a fait naître. Les évangiles canoniques, qui ne s’occupent guère que de l’apostolat du Christ et sont si sobres de renseignemens sur sa famille et son enfance, ne parvenaient pas à contenter l’ardente curiosité des nouveaux chrétiens. Ils souhaitaient en savoir bien plus qu’on ne leur en disait, et c’est pour les satisfaire que furent imaginées les légendes qui remplissent les évangiles apocryphes. On n’y surprend