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Rude et brutale nourrice, toi qui pour de jeunes princes es une compagne si vieille et si morose, traite bien mes enfans ! C’est ainsi que le chagrin affolé dit adieu à tes vieilles pierres[1] ! » Heureusement, ce rapprochement ne se soutient pas jusqu’au bout ; les vieilles pierres de Pedrazza ont été moins cruelles que les vieilles pierres de la Tour de Londres.

Quel que soit pourtant le poétique intérêt du récit, il faut toujours en revenir, avec un esprit tel que M. Mignet, à la philosophie pratique de l’histoire. Nous n’avons pas besoin sans doute de rappeler à nos lecteurs que la plupart de ces grandes scènes, la victoire de Marignan, la conjuration du connétable, la défaite de Pavie, la captivité de François Ier, la ligue de Cognac, le sac de Rome, le traité de Cambrai, ont été publiées pour la première fois dans la Revue des Deux Mondes. En rassemblant aujourd’hui ces pages commencées il y a plus de vingt ans, M. Mignet nous aide à saisir d’une vue plus nette l’inspiration qui l’a soutenu dans les difficultés d’un tel labeur. Ces larges peintures où se plaît son pinceau, ces détails qu’il recherche avec tant de soin, ne le détournent jamais de son but. L’âme de son travail est un perpétuel enseignement. Il enseigne quand il raconte les faits, il enseigne surtout quand il juge les acteurs. Ces leçons, qui sortent naturellement du récit, répètent des vérités vieilles comme le monde, j’en conviens, mais qu’il faut rapprendre à chaque génération, puisque chaque génération les oublie ; elles nous disent que les succès politiques tiennent bien plus à la constance du caractère qu’à l’éclat des qualités de l’esprit, que le bon sens va plus loin que la passion, que la victoire définitive est réservée à celui qui a le mieux conçu son plan, qui ne l’a pas perdu de vue un seul jour, qui a été réfléchi, appliqué, persévérant, sachant plier à propos pour se relever plus tard, surtout ne s’attachant qu’à ce qui est juste et ne poursuivant que ce qui est possible. Bossuet, commentant Polybe, avait exprimé les mêmes idées. Lieux-communs, dira-t-on peut-être ; disons plutôt : éternels principes que les figures de chaque siècle nous rendent plus présens, et dont il faut, aujourd’hui plus que jamais, nous faire à nous-mêmes l’application sérieuse. Jugés d’après ces maximes, ni Charles-Quint ni François Ier ne sauraient trouver grâce au tribunal de l’histoire ; il faut avouer cependant que l’empereur d’Allemagne a été supérieur au roi de France. À quoi servirent dans cette lutte l’esprit, l’imagination, le courage chevaleresque de François Ier ? « Avec moins d’éclat, dit M. Mignet, Charles-Quint avait plus de

  1. Nous empruntons ici l’excellente traduction de notre collaborateur et ami M. Émile Montégut.