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Ils sont venus, les enfans désirés !
Loyaux Français, il est temps qu’on s’apaise :
Pourquoi encor pleurez et soupirez ?
Je l’entends bien, c’est de joie et grand aise ;
Car prisonniers comme eux étiez aussi.
O Dieu tout bon ! quel miracle est cecy ?
Le roi voyons et le peuple de France
En liberté, et tout par une enfance
Qui prisonnière était en fortes mains.
Or en est hors, c’est triple délivrance.
Gloire à Dieu seul ! Paix en terre aux humains !

M. Mignet s’est associé avec beaucoup d’art à ces touchantes émotions ; dans cet ample récit, où se pressent tant de scènes dramatiques, il a combiné son plan de telle sorte que la dernière scène fût la délivrance des enfans. Il aurait pu s’arrêter sur quelque autre épisode du traité de Cambrai, il aurait pu rassembler les symptômes annonçant que la lutte n’est pas finie entre les rivaux, et que la France subira bientôt une nouvelle invasion. Une pensée très heureuse lui a suggéré un dénoûment à la fois plus poétique et plus neuf. Sur ce ponton élevé au milieu de la Bidassoa, à l’endroit même où quatre années auparavant s’était fait l’échange du roi et de ses deux fils, voyez le connétable de Castille remettre le dauphin et le duc d’Orléans aux mains du grand-maître Anne de Montmorency. Que de formalités ! que de précautions ! avec quelles défiances prolongées jusqu’à la dernière minute les gens de l’empereur se dessaisissent de ce précieux gage ! Dans l’une des barques, Anne de Montmorency avec les 1,200,000 écus d’or, dans l’autre le connétable de Castille avec les deux jeunes princes ; dans l’une comme dans l’autre même nombre de rameurs, même cortège de gentilshommes et de pages armés de la même manière ; sur chaque rive, des soldats français et espagnols en nombre égal ; à l’embouchure du fleuve, deux galions, l’un espagnol, l’autre français, pour surveiller l’opération et empêcher toute fraude ; enfin un signal, l’échange qui s’accomplit, des cris de joie qui retentissent, et bientôt à Bordeaux le roi de France recevant ses deux fils au milieu de transports d’allégresse, — voilà certainement des traits qu’il est impossible d’oublier. Avions-nous tort de dire au début de cette étude que l’habile disposition des épisodes dans l’ouvrage de M. Mignet rappelle par instans les chroniques de Shakspeare ? Plus d’une fois, en lisant la dernière partie du livre, j’ai songé à ces paroles de la reine Elisabeth au quatrième acte de Richard III : « Jetons un dernier regard sur la Tour. Ah ! vieilles pierres, ayez pitié de ces tendres enfantelets que l’envie a renfermés entre vos murailles ! Dur berceau pour de si petits et de si gentils êtres !