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Peut-on savoir, en un mot, de quel travail des esprits elle est sortie, et connaître l’histoire de ses plus lointaines origines ? C’est une question qu’on se pose inévitablement quand on étudie l’histoire de la littérature chrétienne, et à laquelle il est devenu aujourd’hui plus aisé de répondre. Je n’aurai pour le faire qu’à résumer les excellens ouvrages qu’on a publiés sur ce sujet depuis quelques années.


I

Ces recherches montrent d’abord que, si les deux premiers siècles ne nous ont pas laissé de poètes, ils sont fort loin d’avoir été stériles pour la poésie. Jamais l’imagination chrétienne n’a été plus active et plus féconde. A la vérité, elle n’a pas produit alors des œuvres complètes et achevées, mais elle a trouvé ce qui est la matière et la substance de ces œuvres. Elle a créé en abondance des idées, des images, des types, des légendes, dont l’art chrétien a profité jusqu’à nos jours. On peut dire que pendant ces deux siècles se sont entassés dans les souvenirs les trésors où la poésie religieuse a puisé durant tout le moyen âge et dont elle vit encore aujourd’hui.

C’est ce qu’il est aisé d’établir en étudiant les ouvrages qui nous restent de cette jeunesse du christianisme. Ces reliques sont malheureusement fort rares. La négligence des fidèles, la rigueur des persécutions, surtout de celle de Dioclétien, qui atteignit les monumens et les livres autant que les personnes, peut-être aussi la mauvaise volonté des chefs de l’église, qui trouvaient dans ces vieux écrits beaucoup de maximes erronées, en ont fort diminué le nombre. Ceux qu’a conservés le hasard ne nous sont en général parvenus que mutilés et modifiés : nous les possédons souvent dans des traductions étrangères qui en ont changé la forme et le fond ; mais, malgré toutes ces altérations, ils nous permettent de constater l’incroyable activité d’esprit qui régnait dans ces premières années, et la fécondité de créations qui en fut la suite.

Ces ouvrages ont un caractère commun : ils ne portent pas le nom de leur auteur véritable. Celui qui les a rédigés n’a pas voulu les signer ; pour leur donner peut-être plus de crédit, il les attribue à quelque personnage illustre des temps anciens. Ces sortes de supercheries étaient alors si ordinaires qu’elles ne semblaient pas coupables. Toutes les religions et toutes les philosophies en usaient sans scrupule. Les Juifs en ont donné l’exemple aux chrétiens, et ils le tenaient peut-être des philosophes qui se plaisaient à inventer des écrits d’Orphée ou de Pythagore pour autoriser leurs opinions. C’était un moyen de servir la vérité, d’augmenter le prix d’un ouvrage, de lui faire produire de meilleurs effets : on n’avait pas de