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table, où ce pontife, d’un esprit d’ailleurs si fin et d’un goût à tant d’égards délicat, prenait plaisir à voir leur monstrueuse gloutonnerie et à entendre leurs facéties grossières. Fra Mariano, qui assistait à son agonie, lui dit lorsqu’il était sur le point d’expirer : « Saint-Père, recommandez-vous à Dieu. » La vie de Léon X n’avait pas été toujours celle d’un pape, sa mort ne put pas être même celle d’un chrétien. »

Ainsi parle M. Mignet ; ces paroles suffisent-elles ? n’y a-t-il pas autre chose à dire sur ce lit de mort ? M. Mignet n’est pas homme à laisser derrière lui un personnage comme Léon X sans essayer de graver son image en quelques traits. Voici donc ce qu’il ajoute avec cette impartialité magistrale où l’on ne sent ni aversion ni faiblesse : « Malgré ce qu’il y avait en lui de grand et d’aimable, et quoi qu’il eût recherché l’indépendance de l’Italie, contribué à l’accroissement du saint-siège et à la splendeur de Rome, il n’inspira aucune admiration et fut loin de laisser des regrets. « Il n’est pas mort de pape, écrivait-on de Rome, qui ait laissé une pire réputation depuis qu’existe l’église de Dieu. » Un jugement aussi outré tenait à ses mœurs peu pontificales, à sa fin, qui n’avait rien eu de religieux, à ses onéreuses prodigalités, qui avaient épuisé le trésor apostolique et surchargé l’état d’une énorme dette ; mais, si dans Léon X le pontife n’avait pas été toujours édifiant, le prince s’était montré habile, et le protecteur des arts comme des lettres devait rester à jamais glorieux. »

Serait-ce là une digression ? Pas le moins du monde. La mort de Léon X tient ici une place considérable. Léon X faisait cause commune avec l’empereur contre le roi très chrétien ; Adrien VI, qui lui succède, homme pieux et intègre, refuse de s’engager dans des luttes où sa conscience a peine à se reconnaître. Informé de ses résolutions à cet égard, François Ier s’empresse de mettre à profit l’interruption de la ligue. Il croit même que c’est assez de confier la revanche à celui qui a perdu la partie. Le pape restant neutre, Lautrec n’aura plus en face de lui que les troupes de l’empereur, et l’empereur a de si grosses affaires sur les bras aux deux extrémités de l’empire ! Luther d’un côté, les communeros de l’autre, lui causent de terribles soucis. François peut donc demeurer en France occupé de ses plaisirs ; Lautrec est trop intéressé à vaincre pour ne pas suffire à la besogne. Malheureusement le roi a compté sans un vaillant chef italien très intéressé, lui aussi, à conserver ses avantages. Prospero Colonna, si habile à l’attaque, est plus habile encore à la défense. Il déjoue l’un après l’autre tous les plans de Lautrec ; il l’oblige à lever le siège de Milan, le chasse des tranchées de Pavie, le débusque de toutes ses positions, l’accule enfin entre les murs de Milan, assiégé de nouveau par les Français, et son camp retranché de la Bicocca, vaste jardin situé sur un plateau