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d’armes, l’une d’elles entièrement détruite, enfin les fiers vaincus se retirant en bon ordre et rentrant tête haute dans les rues de Milan, tous ces traits choisis avec art, rendus avec force, impriment dans l’esprit une image ineffaçable. On comprend mieux par ce tableau l’étonnement dont l’Europe fut frappée. Ces hardis montagnards, les vainqueurs de Sempach, de Morat, de Nancy, de Novare, n’étaient plus les premiers soldats du monde. Vainqueurs de Charles le Téméraire, ils avaient été vaincus par le jeune roi de vingt ans. Aussi, quand l’empereur Maximilien, à l’instigation du roi d’Angleterre et du roi d’Aragon, descend l’année suivante en Lombardie, quelle indécision dans ses allures ! comme il s’avance timidement ! comme il est toujours prêt à battre en retraite ! Enfin, qui donc le détermine à signer la paix avec François Ier, au prix de concessions qui lui semblaient d’abord inadmissibles ? C’est son petit-fils, l’archiduc Charles, le jeune souverain des Pays-Bas, devenu l’héritier des royaumes d’Aragon, de Castille, des Deux-Siciles, par la mort de son grand-père maternel Ferdinand le Catholique. Oui, celui qui sera bientôt Charles-Quint, celui qui pendant plus de vingt-cinq ans ébranlera toute la chrétienté par sa lutte contre le roi de France, apparaît aujourd’hui comme fasciné par la gloire du vainqueur de Marignan !

M. Mignet raconte toutes les négociations qui suivirent et complétèrent cette victoire, il montre François Ier maître du duché de Milan malgré les Suisses, maître de Parme et de Plaisance malgré le pape Léon X, bienfaiteur de ses fidèles alliés les Vénitiens, qui regagnent, grâce à lui, leurs anciennes possessions de la Haute-Italie, s’attachant de nouveau et par les liens d’une amitié perpétuelle les confédérés des treize cantons, signant la paix avec l’empereur Maximilien, qui se trouve désormais évincé de l’Italie où l’avait attiré l’imprudence de Louis XII, désarmant les animosités du roi de l’Angleterre, parvenant même à retirer de ses mains les trois places que Henry VIII avait prises sous le règne précédent ; il expose enfin à larges traits cette œuvre d’agrandissement et de pacification accomplie de 1515 à 1519, puis il ajoute : « François Ier avait été constamment heureux, parce qu’il avait été appliqué et habile. Ces quatre années de juste félicité semblaient être les débuts éclatans d’un grand règne. Couvert de gloire et parvenu à un haut degré de puissance, François Ier avait montré une égale entente de la guerre et de la politique. Aussi avait-il tourné vers lui les regards du monde et les espérances d’une partie de l’Allemagne, qui, menacée d’être envahie par les Turcs, sembla prête à le prendre pour chef du saint-empire à la mort de Maximilien. »

Voilà la tentation à laquelle le vainqueur de Marignan ne saura