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homme de sainte vie dans le couvent réformé où il demeurait depuis quinze ans, rappelez-vous comme il recueille de sa bouche les sentences de Dieu, comme il rapporte ses prédictions que les événemens ont justifiées plus tard : « Je lui demandai si le roi pourrait passer sans péril de sa personne… Il me répondit qu’il aurait affaire eh chemin, mais que l’honneur lui en demeurerait, n’eût-il que 100 hommes en sa compagnie, et que Dieu qui l’avait conduit au venir, le conduirait encore à son retour. » Le saint moine ajoutait pourtant, et c’est là surtout ce qui frappa Commines, que Dieu avait donné une sentence contre le roi très chrétien pour ne s’être bien acquitté de la réformation de l’église comme il devait[1]. Ainsi, renaissance et réforme, l’Italie avait donné le signal de ces grands mouvemens européens ; on sait comment la France, de son côté, par une merveilleuse levée de génies de toute nature, par une large moisson d’œuvres originales et hardies, a répondu aux appels de l’initiatrice. Voilà ce que la philosophie de l’histoire attribue à l’influence des guerres d’Italie, elle explique ainsi le mystère de Dieu signalé par Commines.

On peut s’étonner à première vue que M. Mignet, traitant des guerres d’Italie, ait négligé cet aspect des événemens. Il est certain que ce n’est point par oubli ; pourquoi donc paraît-il éviter la moindre allusion à de si grandes choses ? Regardez-y de plus près, vous comprendrez son plan. Il ne compose pas un tableau d’ensemble, il écrit une histoire très précise, une histoire toute politique, et sur la scène réduite à un petit nombre d’années il ne fait paraître que les personnages nécessaires à l’action. La culture des nations européennes n’est point en cause ici ; il s’agit de la rivalité de deux puissans souverains, et cette rivalité se présente comme un drame. L’introduction du livre, c’est-à-dire le prologue du drame, doit donc se borner à faire connaître les causes de cette grande lutte.

Voici d’abord le pays qui en sera l’objet et le théâtre. L’historien expose avec précision la situation politique de l’Italie à la fin du XVe siècle. Cinq grands états se partagent la péninsule : ici, deux pays de communauté, pour employer le langage de Commines, là un duché, un royaume, et la souveraineté pontificale. Les deux pays de communauté sont des républiques bien différentes, la puissante république de Venise, dirigée par l’aristocratie la mieux organisée en même temps que la plus ambitieuse, et l’ardente république de Florence, foyer de démocratie contenu depuis plus d’un demi-siècle par une famille illustre et populaire. Le duché, c’était Milan ; le royaume, c’était Naples. Ajoutez-y au centre le domaine territorial

  1. Mémoires de Philippe de Commines, livre VIII, chapitre III.