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langue que parle ce peuple n’est pas une langue incertaine encore, comme celle dont la guerre de cent ans a interrompu chez nous la floraison charmante, c’est une langue consacrée par d’impérissables chefs-d’œuvre, la langue de Dante, de Pétrarque, de Boccace ; elle est aussi belle qu’elle peut jamais le devenir. Ainsi France de Louis XI, Italie de Médicis, voilà deux mondes tout différens à la fin du XVe siècle. Eh bien ! ces deux mondes vont être tout à coup rapprochés, confrontés, comment ? Par les guerres de Charles VIII et de Louis XII. Et qui en profitera le plus, de ces guerres si follement entreprises, si follement conduites ? La France, malgré ses défaites.

Historiens de la culture générale, surtout historiens des lettres et des arts, voilà ce qui nous frappe à première vue. Sans doute Pétrarque, Boccace, Dante lui-même, avaient emprunté beaucoup à notre France du XIIe siècle, du XIIIe siècle, si active et si riche, mais le moyen âge avait vieilli, le moyen âge allait mourir, l’esprit du XVe siècle s’endormait dans l’insignifiance et le radotage. Il fallait un éclair pour dissiper ce crépuscule ; l’éclair, ce fut la vision soudaine de cette éblouissante Italie. Je n’ouvre pas un poète français de cette période, même le plus faible, sans voir apparaître comme un modèle ou comme un reproche ces grands noms italiens : Pétrarque, Boccace, Dante Alighieri. Il y a là des sentimens qui reviennent sans cesse. Tantôt on regrette de ne pas posséder en France un maître à leur opposer, tantôt on tâche de se persuader que la France du XIVe et du XVe siècle n’est pas inférieure à la patrie de Dante. Ici Jean Bouchet, traçant le panégyrique du duc de La Trémouille, évoque Pétrarque, seul digne d’un tel sujet :


Sors du tombeau, noble orateur Pétrarque,
Qui des Toscans fus l’écrivain monarque !


Ici le poète Jean Le Maire de Belges, maître de Clément Marot, dans un livre intitulé la Concorde des deux langages, compare Jean de Meung à Dante, le Roman de la Rose à la Divine Comédie, et savez-vous quels poètes il oppose à Boccace, à Pétrarque ? Les plus médiocres des rimeurs, Guillaume Crétin et Meschinet. Naïve préoccupation ! peut-être aussi aiguillon nécessaire ! Pour se tenir en haleine, il est bon de regarder au dehors. À ne pas changer d’horizon, l’esprit finit pas s’engourdir. Les guerres d’Italie nous dégourdissent, et soixante ans plus tard, quand le Tasse vient en France, il tient à honneur de se faire présenter au roi des poètes français, Pierre de Ronsard, gentilhomme vendômois. Ce réveil des lettres françaises après la torpeur du XVe siècle, ce jour nouveau qui se lève et que suivront des mois, des années, des siècles de gloire, à qui le devons-nous ? Aux guerres d’Italie ; elles en furent du moins