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la seconde depuis une trentaine d’années, chaque fois qu’il a interrogé la vie des hommes mêlés de près ou de loin aux péripéties du drame. Il n’était pas même nécessaire que ces hommes fussent au premier rang par le pouvoir ou le génie. Souvent, chez tel acteur de troisième ou de quatrième ordre, M. Mignet a découvert des choses qui l’ont obligé de revenir sur ses premiers jugemens, et comme c’est le cœur le plus noble, la pensée la plus sereine, on l’a vu rectifier dans le détail de ses portraits ce qui n’était pas tout à fait conforme à la justice dans l’ordonnance de son tableau. C’est ainsi par exemple que l’étude sur le comte Siméon renferme une appréciation du 18 fructidor et du 18 brumaire assez différente de celle que nous donne l’Histoire de la révolution française ; plus sévère pour les proscriptions de fructidor, il s’y montre plus bienveillant et plus juste pour les œuvres réparatrices du consulat.

A peu près vers le temps où M. Mignet, par cette œuvre de maître, s’emparait du domaine de la révolution, l’étude du siècle de la réforme allumait en lui des ambitions généreuses, il concevait l’idée d’une vaste composition où revivraient les ardeurs, les passions, les luttes de cette tumultueuse époque. Les contrastes du XVIe siècle tentaient cet esprit appliqué à la recherche des lois supérieures. Ayant réussi du premier coup à introduire l’ordre et la clarté dans les ténèbres sanglantes de 93, il éprouvait le désir de se mesurer avec cet autre athlète, d’expliquer et de juger cette autre révolution, de faire apparaître la logique lumineuse des principes à travers tant d’incohérences et tant de fureurs. Seulement, dans ce nouveau domaine, il comprit qu’il devait suivre une marche différente. En traitant de la révolution française, son premier soin avait dû être de démêler les idées et les faits, de marquer un enchaînement suivi là où bien des esprits n’apercevaient qu’une confusion épouvantable, en un mot de donner à la fois le récit et la synthèse, l’histoire et la philosophie des événemens. La peinture du XVIe siècle exigeait, non pas une philosophie moins précise, mais une exposition moins concentrée. La révolution française forme un tout, le XVIe siècle est rempli d’épisodes qui réclament chacun pour sa part une étude opiniâtre. C’est par une application obstinée que M. Mignet a pu résumer si fortement ses recherches sur l’établissement de la réforme à Genève. Que d’autres épisodes dans le cycle immense du XVIe siècle ! La renaissance des lettres antiques, la rupture de l’unité spirituelle du moyen âge, chacune des nations européennes se dégageant de la communauté indistincte de l’enfance et devenant une personne, la religion de l’Évangile appelée désormais à se plier au génie de chaque peuple pour mieux prouver sa mission divine, le christianisme français aussi différent du christianisme espagnol que