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lui-même qui n’en ait répudié la pensée et maudit l’auteur encore à la veille de Sadowa. A la veille de Sadowa, les villes principales du royaume, Cologne, Magdebourg, Stettin, Minden, etc., envoyaient des adresses au souverain en faveur de la paix et contre « une politique funeste du cabinet ; » la grande corporation des marchands de Kœnigsberg, de la cité de Kant, décidait même de ne plus illuminer le jour de la fête du roi. Dès son arrivée à Berlin, le général Govone écrivait : « Non-seulement les hautes classes, mais encore les classes moyennes sont contraires ou peu favorables à la guerre. Cette aversion se voit dans les journaux populaires ; il n’existe pas de haines contre l’Autriche. De plus, quoique la chambre n’ait ni grand prestige ni grande popularité, les débats créent encore des adversaires au comte de Bismarck. » Deux mois plus tard, et à l’approche des hostilités, il écrivait : « Malheureusement l’esprit public en Prusse ne se réveille pas d’une manière sensible, même en face d’une situation si décisive, si vitale pour le pays[1]. »

Il est vrai qu’aucun de ces obstacles n’était de nature à ébranler le président du conseil à Berlin dans ses résolutions, ni à ralentir la marche qu’il s’était tracée. Il en était tout autrement par contre des difficultés et des hésitations auxquelles il se heurtait à la cour même, auprès des perruques de Potsdam, auprès de son souverain surtout, et en mainte circonstance le « comte de fer » put bien dire comme certaine éminence rouge « que le cabinet du roi et son petit-coucher lui donnaient plus d’embarras que l’Europe entière. » Malgré la foi de Guillaume Ier dans sa « mission d’en haut, » malgré la résolution également forte de garder à tout prix son bon port de Kiel, il n’envisageait pas moins une lutte ouverte avec l’empereur d’Autriche, un acte d’hostilité déclarée contre ce souverain allemand qui portait le nom vénéré de Habsbourg, comme la dernière des extrémités, et il ne voulait y recourir qu’après avoir épuisé tous les moyens d’une transaction amiable. Pour ce cas extrême, et à l’encontre de l’empereur Napoléon III, il préférait aussi de beaucoup la petite guerre pour les duchés à « la grande guerre pour la nationalité allemande ; » mais ce qui lui répugnait avant toute chose, c’était l’idée d’un pacte avec l’Italie, d’un pacte véritable, offensif et défensif, au lieu d’un traité « générique » portant une vague déclaration d’alliance et d’amitié et destiné seulement, ainsi qu’on le lui avait persuadé d’abord, à faire réfléchir l’Autriche et l’amener à composition. Lui, le loyal Hohenzollern, faire la guerre à un Habsbourg de compte à demi avec un welche, — lui, l’oint du Seigneur, le vieux combattant de la sainte alliance, devenir le frère d’armes d’un Victor-Emmanuel, ce représentant de la révolution, cet usurpateur

  1. Dépêches du général Govone du 2 avril et du 22 mai 1866. La Marmora, p. 131 et 245.