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malentendu. C’est de ce nom qu’il a décoré plus d’une fois et du haut de la tribune sa longue et outrageante lutte contre le parlement et jusqu’à la guerre qu’il fit en 1866 à l’Autriche (petit malentendu qui coûta la vie à 40,000 hommes !), et comment ne pas admirer aussi l’affection, l’enthousiasme qu’il a fini par inspirer à cet excellent lord Russell, l’homme d’état certes qu’il a le plus berné, le plus maltraité en 1863 pendant le différend danois ? Quant à ses démêlés polonais de la même année 1863 avec les puissances occidentales, il fut d’autant plus prompt à les effacer de sa mémoire que ces puissances elles-mêmes avaient le sentiment d’une grande étourderie commise. Il dicta au roi Guillaume une réponse des plus polies et pleine des attendrissans souvenirs de Compiègne à la lettre de Napoléon III concernant le congrès, et vers la fin de l’année il se trouvait déjà dans un accord touchant avec le cabinet des Tuileries au sujet du traité de Londres, traité qui garantissait l’intégrité de la monarchie danoise, et qu’une circulaire de M. Drouyn de Lhuys qualifiait maintenant d’œuvre impuissante ! En ce qui regarde l’Autriche, il lui accorda très vite une indulgence plénière pour son égarement polonais du printemps, voire pour l’entreprise bien autrement répréhensible tentée au mois d’août dans la journée des princes à Francfort ; au mois de novembre, il en faisait déjà son compagnon et son complice dans la guerre des duchés. Tout autre se montra le prince Gortchakof : il ne voulut jamais pardonner à la France et à l’Autriche leur ingérence dans les affaires de Pologne, et demeura récalcitrant à tout essai de raccommodement. Il ne connut plus d’intimité qu’avec le cabinet de Berlin, et l’ancien collègue de Francfort devint son unique confident et allié. Le fameux aphorisme de 1856 subit dès lors une modification importante : à partir de 1863, le chancelier russe se mit à bouder tout en continuant de se recueillir, et les Achéens ont payé bien cher ce dépit d’Achille ! Les bouderies d’Alexandre Mikhaïlovitch ont été presque aussi fatales à l’Europe que les rêveries de Napoléon III !

Un rêve, un vrai songe d’une nuit d’été, telle apparaît, par rapport aux affaires d’Allemagne, cette politique napoléonienne à la fois raisonnée et chimérique, ingénieuse et ingénue, qui crut sincèrement travailler au bien et n’accumula que désastres et ruines. On avait eu un jour une vision sublime aux Tuileries : l’Italie était complétée dans son unité, l’Autriche relevée, la Prusse rendue plus homogène, l’Allemagne plus satisfaite, l’Europe régénérée et la France rassurée et glorieuse. Tout cela ne dépendait que d’une seule hypothèse, mais qui n’en était point une, d’une bataille livrée et gagnée par les kaiserliks braves et aguerris de tout temps contre cette