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les Danois dans les âges précédens, et, si les Moltke et les Roon firent dans cette guerre l’essai pleinement satisfaisant de leur fusil à aiguille, il put de son côté éprouver les qualités précieuses, inaltérables, de son instrument à lui… Il faut bien le dire, pendant toute cette expédition contre le Danemark le prince Gortchakof n’a cessé de favoriser le ministre prussien par tous les moyens, de lui tendre avec empressement, et le plus souvent à la dérobée, une main secourable à chaque traversée difficile. Son concours fût absolu et d’autant plus efficace qu’il prenait les dehors d’une neutralité affairée en quête d’un arrangement pacifique. C’est ainsi qu’il aida le président du conseil de Berlin à faire entrer dans la tête récalcitrante de lord Russell le raisonnement aussi spécieux que plaisant, que l’occupation du Holstein par les troupes fédérales deviendrait un titre de validation entre les mains du nouveau roi de Danemark. « M. de Bismarck me dit, écrivait le 28 novembre sir A. Buchanan, qu’une exécution fédérale préviendrait tout mouvement révolutionnaire dans le Holstein, et serait en même temps à un certain degré une reconnaissance indirecte du roi Christian IX comme duc de Holstein de la part de la diète de Francfort. Son excellence affirma que l’état alarmant de l’Allemagne commandait qu’il fût procédé immédiatement à l’exécution ; mais elle ne put ou ne voulut m’expliquer comment une pareille exécution serait une reconnaissance de la souveraineté du roi Christian et pourrait éviter l’apparence d’une occupation… » Trois jours après, le 1er décembre, lord Napier mandait de son côté de Saint-Pétersbourg : « Le langage du prince Gortchakof me fait croire qu’il est persuadé que M. de Bismarck a des vues modérées dans cette question. Le vice-chancelier est disposé à considérer une exécution fédérale, si elle est bien conduite, comme une mesure conservatrice. Dans son opinion, les troupes fédérales, agissant d’après des instructions judicieuses, assureraient l’ordre, et maintiendraient la distinction nécessaire entre la question législative et la question dynastique… » Je dépouille, donc je reconnais ! disait M. de Bismarck par une logique qui n’était qu’à lui[1], mais que partageait à ce moment le prince Gortchakof et que es deux amis essayèrent bientôt d’appliquer aussi au Slesvig, après que le chef du foreign office s’y fut résigné dans le Holstein. « Le vice-chancelier russe m’a fait ce matin la suggestion, écrivait de nouveau lord Napier de Saint-Pétersbourg en date du 11 janvier, qu’on devrait engager le

  1. Les feuilles officieuses de Berlin ont renouvelé ce raisonnement dans leurs récentes discussions sur les lois de garantie accordées au saint-siège. Le pape, argumentaient-elles, ne peut pas être traité en souverain, vu qu’il n’y a pas moyen d’exercer contre lui des représailles en se saisissant de ses états.