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autonomie modeste, mais sérieuse, fut assurée au pays. Les préceptes de la plus vulgaire sagesse, l’instinct de la conservation, les leçons effroyables du passé, tout devait conseiller aux Polonais de profiter de ces bonnes dispositions de leur souverain, de mettre à l’épreuve les institutions accordées, d’accepter avec empressement la main qu’on leur tendait. Tout en effet le leur conseillait, mais ils pliaient sous l’anathème que les saintes Écritures ont dès longtemps prononcé contre tout royaume qui se laisse guider par des femmes et des enfans. Les femmes et la jeunesse des écoles résolurent de continuer, de multiplier des manifestations qui avaient si bien réussi, et qui, en cessant d’être spontanées, devinrent théâtrales et sacrilèges, La démagogie européenne eut hâte de transporter sur un terrain si bouleversé ses emblèmes, ses mots de désordre, ses sociétés secrètes et ses instrumenta regni ; de loin, du fond du Palais-Royal, venaient des recommandations « de laisser là les momeries catholiques et de faire des barricades. » Le grand parti conservateur se montra pusillanime là comme ailleurs, comme partout, comme toujours, et, en voulant sauver sa popularité, il perdit toute une population. On fit le vide autour du frère de l’empereur, autour du ministre patriote, et ce vide ne tarda pas à être rempli par l’horreur, par la terreur et le crime. Le gouvernement se débattit en vain contre une ténébreuse organisation qui l’enveloppait de toutes parts ; il prit des mesures contradictoires et violentes. La démagogie eut gain de cause : elle réussit à jeter dans une révolte impuissante, insensée, un peuple malheureux qui depuis un siècle semble s’être imposé la tâche d’étonner le monde par des résurrections périodiques et de le rebuter en même temps par des suicides non moins périodiques, hélas !

Cette criminelle folie d’une nation ne devait être égalée que par l’étourderie non moins coupable que mit l’Europe à l’encourager et à l’attiser. L’Europe, qui n’avait pas osé toucher à la question polonaise pendant la guerre de Crimée, crut opportun de sympathiser, de badiner avec elle dans ce moment le plus intempestif et le plus désespéré ! Lord John Russell fut le premier à entrer dans la lice. Il avait en 1861 écrit la fameuse dépêche à sir J. Hudson, et s’était persuadé à lui-même et à l’Angleterre qu’il avait par là délivré l’Italie. L’année d’après, dans la dépêche célèbre de Gotha, il avait imaginé pour le Danemark une constitution des plus originales en quatre parties, avec quatre parlemens, et donné ainsi le signal du démembrement de la monarchie Scandinave. Cette fois il crut devoir recommander des institutions parlementaires pour la Pologne, et sur l’observation de l’ambassadeur russe qu’il serait difficile au tsar d’avantager à ce point ses sujets polonais sur ses propres