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son compte, je la lui ai dite tout bonnement, comme je vous la dis.

— Raconte-nous donc comment cela s’est passé, dit Mme  André. Et d’abord, où étiez-vous ? Est-ce dans l’étable à bœufs qu’il t’a fait sa déclaration ?

— Non, c’est dans le pré, là, de l’autre côté du buisson. Je m’étonne que vous ne nous ayez pas entendus, car nous nous disputions fort en marchant. Quant à la déclaration, elle était toute faite ici, devant vous, sous l’influence du vin muscat, et il n’avait pas besoin d’y revenir. Il a parlé mariage tout de suite ; mais, comme mon parti était déjà pris, je lui ai répondu tout de suite que je ne voulais pas me marier ; de là la querelle. Il a le vin mauvais quand on le contrarie. Il m’a reproché d’être une coquette de village et de l’avoir roué tout le temps du dîner. Il m’a même dit des choses assez dures que je me suis laissé dire, je les méritais. J’avais été coquette certainement, et je mentirais si je ne l’avouais pas ; seulement mes coquetteries n’étaient pas pour lui, et comme je ne pouvais pas lui confesser mon secret, j’ai mieux aimé lui laisser penser de moi ce qu’il voudra.

— Et pour qui donc tes coquetteries ? dit Mme  André.

— Pour quelqu’un qui ne veut pas deviner ce qu’on ne lui dit pas. Pour s’entendre avec ce quelqu’un-là, il faudrait avoir l’aplomb de M. Philippe. J’ai essayé de l’avoir, et je ne demandais qu’à être excitée par ses louanges pour avoir le courage qui m’a toujours manqué ; mais le professeur est déjà parti, et je me demande s’il m’a réellement trouvée intelligente et jolie, car je recommence à douter de moi.

— Marianne, Marianne ! s’écria Pierre en tombant aux genoux de sa filleule, si tu m’as deviné malgré ma sauvagerie, tu me la pardonneras, car je l’ai bien expiée aujourd’hui !

— J’ai quelque chose à me faire pardonner, moi aussi, répondit Marianne. J’ai lu ce qu’il y avait dans votre carnet, mon parrain. Vous l’avez laissé tomber avant hier sur l’herbe du petit chemin pendant que vous me parliez de M. Gaucher ; je l’ai trouvé en revenant. J’ai cru que c’était un album de dessins comme vous en faites souvent dans vos promenades. Je l’ai ouvert, j’ai vu mon nom… Dame ! j’ai lu, j’ai tout lu, et le soir j’ai reporté le livre et l’ai posé sans rien dire sur la table de votre salon, à côté de votre sac. Voilà mon crime. J’ai su alors que vous doutiez de mon affection et que vous regrettiez de n’y pouvoir compter. J’ai voulu voir si vous seriez jaloux du prétendant, j’ai été aimable avec lui pour m’assurer si je saurais vous paraître aimable, et à présent…

— À présent ! s’écria Mme  André, il est heureux, car il avait beau