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l’hospitalité passant chez elle avant tout, elle lui avait fait fort bon accueil et l’accablait de petits soins.

Philippe, ayant appris que les André dînaient le lendemain chez Mme Chevreuse et qu’on saisirait l’occasion pour le lui présenter, trouva ses affaires plus avancées qu’il n’y comptait, et ne manqua pas de dire qu’il avait une étoile propice tout au beau milieu du ciel.

— Laquelle est-ce ?… lui demanda malicieusement Mme André.

— Je ne sais pas son nom, répondit-il gaîment, je ne connais pas l’astronomie ; mais quand je regarde la plus grosse et la plus belle, je suis bien sûr que c’est la mienne. Est-ce que vous ne croyez pas à l’influence des étoiles, ami Pierre ?

— Si fait ; j’y crois pour Napoléon et pour vous. Si les simples mortels comme moi ont le patronage d’un astre, le mien est si petit et si haut perché que je n’ai jamais pu l’apercevoir. Philippe avait prolongé la soirée d’une façon inusitée à Dolmor, sans se douter que la vieille dame se couchait à neuf heures. Pierre, voyant la pendule marquer onze heures, dit à son hôte : — Vous devez être las du voyage ; quand vous voudrez que je vous conduise à votre chambre, vous me le direz.

— Je ne suis jamais las, reprit Gaucher ; rien ne me fatigue, mais ce roulement de diligence m’est resté dans la tête et m’endort un peu ; donc, si vous voulez le permettre…

Pierre le conduisit à une petite chambre d’ami, toute neuve et très fraîche, dont le peintre ouvrit les persiennes afin, dit-il, d’être réveillé par la première aube. Il prétendait aller explorer la campagne, afin de choisir le motif qu’il aurait à peindre les jours suivans.

— Dormez en paix, lui dit Pierre ; je m’éveille avec le jour, et je viendrai vous chercher, si vous voulez que je vous conduise aux plus beaux endroits de notre vallée.

— Merci, répondit Philippe ; mais franchement j’aime mieux aller seul à la découverte. L’artiste est gêné quand il lui faut recevoir le contre-coup d’une autre appréciation que la sienne.

— C’est-à-dire, pensa Pierre André, que tu veux aller importuner de ta curiosité Marianne jusque chez elle. J’y veillerai, mon garçon ; elle ne t’appartient pas encore, son parrain a encore le devoir de la protéger.

Il rentra dans sa chambre, et, pour se débarrasser de sa mauvaise humeur, il eut envie d’écrire ; mais il chercha en vain le carnet qu’il avait commencé la veille. Il ne le trouva pas, et, ne se souvenant pas bien de ce qu’il avait écrit, il eut quelque inquiétude de l’avoir perdu durant sa promenade. Il se rappela qu’en rentrant il