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ces controverses, a partagé l’opinion de l’Angleterre ; mais on a passé outre, et le traité a été signé. C’est précisément là-dessus qu’une conversation vient de s’engager dans la chambre des pairs d’Angleterre. Lord Stratheden a interpellé le gouvernement, il a revendiqué tous les droits de souveraineté pour le sultan et même contesté assez vivement la légalité des conventions commerciales récemment conclues entre la Roumanie et l’Autriche ; en un mot, il a soutenu une fois de plus la vieille thèse anglaise de l’intégrité de l’empire ottoman. Lord Derby a répondu assez légèrement, en ministre désabusé et sceptique d’une puissance qui en a vu bien d’autres depuis quelques années, en homme persuadé que dans ce temps-ci « les traités ont la vie courte, » que cette affaire roumaine n’est pas plus extraordinaire que bien d’autres choses, et qu’à vouloir l’exagérer, à vouloir faire trop de bruit, on aurait risqué de se donner beaucoup de ridicule sans profit. Le fait est qu’après avoir été réduite, il y a quatre ans, à biffer de sa propre main les conventions sur la Mer-Noire, la diplomatie anglaise ne peut pas se prendre aujourd’hui d’une passion bien vive pour les droits de suzeraineté de la Porte sur les principautés danubiennes. Tout s’enchaîne : l’Angleterre recueille les fruits de sa politique, elle voit périr peu à peu l’œuvre de Crimée sans pouvoir la défendre. De cette œuvre, qui avait déjà disparu à moitié dans les malheurs de la France, il ne restera bientôt plus rien, — rien, si ce n’est cette éternelle question d’Orient renaissant sous d’autres formes, et alors qui sait si la Roumanie elle-même, après avoir secoué ce qui la gêne dans ces traités d’il y a vingt ans, ne sera pas conduite à regretter les garanties qui la protégeaient contre de puissans voisins ?

Non, sans doute, cette question des droits de la Roumanie n’est point aujourd’hui une grosse affaire européenne, et lord Derby a pu la ramener à des proportions plus modestes. Elle n’a d’importance que parce qu’elle se lie à tous les mouvemens des principautés turques, à cette situation générale où s’accumulent tant d’élémens incandescens, où éclatent si souvent des troubles comme ceux qui mettent aujourd’hui l’Herzégovine en feu. Ces troubles ont-ils été provoqués par des aggravations d’impôts, par les exactions des autorités turques ou par les violences féodales des beys ? Sont-ils nés d’une explosion des passions religieuses et nationales habilement surexcitées par une propagande incessante ? Toujours est-il qu’il y a eu déjà des meurtres, des collisions sanglantes, qu’une portion de la population est sous les armes, tandis que l’autre partie émigré dans les principautés voisines, et que le gouvernement turc est obligé d’envoyer des troupes, un véritable corps d’armée pour combattre l’insurrection. Un moment, pendant son récent séjour en Dalmatie, l’empereur d’Autriche s’était interposé à Constantinople en faveur de ceux qui avaient donné le premier signal du mou-