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la double intervention de M. Gambetta et de M. le vice-président du conseil.

Ce qui devait être évité avant tout est justement ce qui est arrivé. Est-ce M. Buffet qui a provoqué l’intervention de M. Gambetta, ou bien est-ce le contraire ? Peu importe ! les deux interventions se lient intimement dans cette dramatique séance, et toutes les deux elles ont eu pour premier résultat de déplacer absolument la question la plus grave, d’altérer toutes les conditions d’un débat fait pour mettre aux prises toutes les passions, toutes les politiques. Précisons la situation. Au moment où la discussion restait encore concentrée entre l’empire vainement défendu par M. Rouher et la commission d’enquête représentée par le rapporteur, M. Savary, qui avait maintenu avec succès l’autorité de son œuvre, M. le vice-président du conseil s’est levé pour venger M. le préfet de police, imprudemment mis en cause par l’orateur impérialiste ; après lui, M. le garde des sceaux s’est levé à son tour pour défendre M. le procureur-général de Paris, également accusé. L’un et l’autre ont parlé, chacun à sa manière, chacun avec ses préoccupations et son accent particulier. Au demeurant, malgré certaines nuances de langage, les deux discours pouvaient se compléter et restaient l’expression commune de la pensée ministérielle.

Que M. Gambetta n’ait point été absolument satisfait de la façon dont M. Buffet a parlé de l’enquête et du bonapartisme, qu’il ait remarqué une certaine affectation de M. le vice-président du conseil à mettre le péril révolutionnaire à côté du péril bonapartiste, il n’était peut-être pas le seul ; mais enfin il aurait pu avec bien d’autres compléter les déclarations de M. Buffet par les déclarations de M. Dufaure, et ce n’est point évidemment pour cela qu’il s’est précipité à la tribune comme pour exhaler ses fureurs, comme pour « déchirer tous les voiles, » selon l’expression dont on s’est servi. De deux choses l’une, ou M. Gambetta a cédé à un emportement spontané peu rassurant, ou bien il s’est jeté dans la discussion par un calcul prémédité. C’est probablement le calcul qui a eu la plus grande part dans cette explosion tribunitienne, où l’acteur s’est retrouvé tout d’abord en demandant qu’on laissât à sa voix « le temps de s’échauffer » pour prendre tout son éclat retentissant. M. Gambetta, qui a montré depuis quelques mois un sérieux esprit politique, qui a su transiger avec la nécessité, avec la puissance des faits, M. Gambetta s’est peut-être senti tout près d’être suspect de modération dans le monde radical, peu accoutumé à être aussi constitutionnel, aussi ministériel que cela. Il a vu autour de lui des scissions se former, des dissidens comme M. Louis Blanc, M. Madier de Montjau, mettre en doute son autorité, rompre avec la discipline de la gauche, opposer ce qu’ils appellent les principes à l’habileté et aux concessions. Il a craint que la politique de transaction à laquelle il s’est prêté ne fût pas toujours comprise dans son parti, qu’elle ne diminuât sa popula-