Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/702

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

volume de M. Bourget les éloges qu’il serait difficile d’accorder à la première qu’il intitule Au bord de la mer, et qui témoigne de plus de coquetterie que d’émotion sincère, de délicatesse nerveuse et de sensibilité maladive que de force. On ne saurait donner à M. Bourget de meilleur conseil ni d’avertissement plus sincère que de se garder d’un goût naturel du précieux et du contourné. Néanmoins dans la troisième partie l’inspiration personnelle cherche à se dégager, l’originalité du poète aspire à se débarrasser des formules d’école et de la réminiscence involontaire. Sans doute il n’est pas maître encore de sa forme ni de son inspiration comme le poète des Solitudes ou des Humbles, — il n’a pas borné encore comme eux son domaine, et son errante fantaisie, s’éprend de bien des choses et s’en dégoûte tour à tour. Le titre lui-même du volume, la Vie inquiète, dit assez ce qu’il y a de flottante indécision dans la pensée ; mais il ressort cependant de ces vers une conception sinon très nette, au moins courageuse de la vie. Il sied aux poètes d’aimer la gloire, et nous aimons à leur entendre pousser de ces cris :

Je hais plus que la mort ces cœurs étiolés
Qui, sans orgueil, ayant borné leur destinée
Au travail qu’apportait avec soi la journée,
Ont vécu sans génie, et se sont consolés.

Nous aimons qu’ils comprennent que le rôle de l’homme ici-bas n’est pas de s’abandonner au fil des circonstances, et que toute dignité sur terre ne relève que de l’action et de la pensée :

Meurs, mais agis ; dis-moi, que perds-tu pour oser ?
Toute la question n’est que d’un peu de vie
Qu’un jour nous a donnée, et qu’un jour va briser.


Il y a là quelque chose de généreux et de viril, et comme un accent de fierté dont nous aimons à croire que M. Bourget ne démentira pas les promesses. Un mot seulement de la forme, que nous le féliciterons de n’avoir pas asservie aux prescriptions du Parnasse contemporain.

De ces observations, il serait peut-être prématuré de vouloir tirer dès à présent une conclusion générale. Il faudrait avoir fait leur part dans la poésie contemporaine, tant à la poésie descriptive qu’à cette « poésie de la vie réelle » ou « poésie populaire » dont M. Manuel s’est proclamé l’initiateur. Elle prendra pour thème dans l’avenir « la pauvreté, l’ignorance, le travail pénible, le vice dégradant, l’héroïsme obscur, toutes les inégalités, toutes les détresses et toutes les résignations, » toutes :

Ah ! c’est beaucoup nous dire en peu de mots.


Ce n’est pas d’ailleurs jusqu’ici qu’elle ait produit rien de bien remarquable, mais enfin l’Académie française a couronné les Humbles de M. Coppée, les Poèmes populaires de M. Manuel, et sans doute il est