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limpidité parfaite, et ce n’est pas un mince éloge que de dire aujourd’hui d’un poète qu’il parle à peu près son français. Avec cela, M. Coppée, quoique dans les Intimités il ait avoué Baudelaire pour maître, n’a guère emprunté de lui que sa sensibilité maladive, et depuis lors, puisant toujours aux sources d’une honnêteté bourgeoise, on signalerait malaisément dans les Poèmes modernes, les Humbles, le Cahier rouge, la trace d’une influence profonde de l’auteur des Fleurs du Mal. C’est aussi bien dans celles de ses pièces d’où s’exhale l’humble parfum de cette honnêteté modeste qu’on pourrait, en cherchant bien, découvrir sa conception de la vie, celles par exemple qu’il intitule Petits Bourgeois ou Simple ambition :

Ceux-là seuls ont raison, qui dans ce monde-ci,
Calmes et dédaigneux du hasard, ont choisi
Les douces voluptés que l’habitude engendre.
Chaque dimanche, ils ont leur fille avec leur gendre,
Le jardinet s’emplit du rire des enfans…
………
Et quand le pâtissier survient avec la tourte…

C’est à croire en vérité qu’il y aurait deux hommes dans M. Coppée : le poète ou plutôt l’artiste à la surface et le bourgeois au fond, dont on ne saurait dire si c’est le bourgeois qui raille l’artiste ou l’artiste qui moque le bourgeois.

C’est au contraire une haine profonde de l’étroitesse et de la vulgarité de la vie qui caractérise M. Sully-Prudhomme. Aucun des poètes contemporains n’a certainement plus sacrifié, ni plus religieusement, sur les autels de la métaphysique, et ne s’est nourri de plus hautes ni de plus nobles ambitions. La description ne tient chez lui que peu de place, et l’attention qu’il donne aux crises de la vie du dedans a comme déshabitué ses yeux du spectacle des choses extérieures. Il est permis toutefois de croire qu’il se renferme en soi trop obstinément, et que sa poésie gagnerait tout à descendre des hauteurs d’abstraction où il s’est fait un système, une manière de la maintenir. On peut s’inspirer de la métaphysique, puisqu’après tout dans l’avenir elle paraîtrait destinée, comme la poésie même, à n’être plus qu’une forme du rêve et de l’illusion, seulement elle en est la forme abstraite et contemplative ; le rôle de la poésie au contraire est d’en être la forme active et vivante.

Sans doute au premier abord, l’entreprise a des séductions merveilleuses, sinon de vouloir mettre en sonnets l’Ethique ou la Critique de la raison pure, du moins de chercher au développement poétique un thème nouveau tantôt dans l’immensité de ce système du monde tel que l’ont élargi jusqu’à l’infini les découvertes de la science moderne, et surtout les inductions qu’elles autorisent, tantôt dans ces affinités mystérieuses qui semblent prêter aux objets eux-mêmes de la nature inanimée quelque chose du langage des passions humaines. « Il y a, disait