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système qui prévaut et qui prévaudra longtemps encore dans les conseils de l’Angleterre est celui qu’on pourrait appeler le système de l’inquiétude platonique. Il y a bien paru dans l’intéressante discussion de la chambre des communes du 6 juillet dernier, provoquée par une motion de M. Baillie Cochrane, qui mettait le cabinet en demeure de communiquer au parlement tous les papiers relatifs à l’occupation de Khiva par les Russes. Après avoir dénoncé comme un péril les progrès de la Russie, après s’être fait l’interprète des anxiétés publiques, of the general feeling of anxiety and uneasiness, M. Cochrane exposa ce grand principe de la politique anglaise que la clé de la situation est l’Afghanistan, que cette Suisse musulmane, boulevard des Indes au nord-ouest, et qui renferme tous les passages par lesquels une armée d’invasion pourrait déboucher sur l’Indus, doit appartenir ou à l’Angleterre ou à des princes qui soient ses protégés, ses alliés et ses cliens. Malheureusement les Afghans, race ombrageuse et turbulente, ont à plusieurs reprises causé des chagrins aux Anglais, et aujourd’hui l’émir Shir Ali passe pour nourrir des sentimens peu favorables aux maîtres des Indes et des sympathies secrètes pour les maîtres du Turkestan. L’Angleterre appuyait contre lui son fils Jacub Khan, gouverneur d’Hérat. Le vieil émir a destitué son fils de son gouvernement et l’a même incarcéré, et Hérat est retombé sous la domination directe d’un souverain dont la loyauté est douteuse, dont les intentions sont suspectes. M. Cochrane se défie des remèdes héroïques de sir Henry Rawlinson ; il a plus de goût pour la médecine galénique, pour les médicamens anodins. Il n’a point proposé au gouvernement anglais d’envoyer une armée pour s’emparer d’Hérat, à la barbe des Afghans, avec ou sans leur aveu. Il s’est contenté de l’engager à rétablir son influence dans l’Afghanistan ; il lui a conseillé d’entretenir à Caboul, à poste fixe, un résident anglais de haute distinction, et de négocier au plus tôt quelque traité qui unît à jamais les intérêts des deux pays. Il lui représenta que prévenir est plus facile que réprimer, il l’adjura de se réveiller, de secouer son apathie, de renoncer à sa politique d’indifférence et d’inaction magistrale, of masterly inactivity.

Sir G. Campbell, qui a rempli autrefois un poste important à l’extrême frontière nord-ouest de l’Inde, répondit à M. Cochrane que les Afghans ont la passion de l’indépendance, qu’un résident anglais ne serait pas en sûreté à Caboul, qu’on pourrait bien lui couper la gorge un matin et que l’Angleterre se verrait forcée d’envoyer une armée pour le venger, que négocier avec des gens qui parlent pouschtou est peine perdue, que rien n’est plus malaisé dans ce monde que de remporter sur eux quelque avantage diplomatique, qu’ils sont les premiers maquignons de l’Asie et le bon marchand de tous les traités qu’on peut conclure avec eux, qu’au surplus la Suisse musulmane est non un