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tempêtes furieuses, qui dardaient sur le soldat des aiguilles de glace. Arrivé à mi-chemin de Khiva, Perovski passa la revue de ses chameaux ; sur 8,900 qu’il avait emmenés, 5,000 seulement étaient encore valides. Il se résolut à la retraite, qui fut plus funeste encore que celle de la grande armée en 1812. Le terrible buran sévissait avec rage, emportant dans ses irrésistibles tourbillons chameaux, hommes et chevaux, et les dispersant dans les steppes, où ils demeuraient ensevelis sous la neige. Les survivans furent huit mois à regagner Orenbourg. La Russie n’est pas seulement patiente, elle profite de ses expériences, elle s’instruit par ses échecs, et, si elle recommence toujours, elle a soin de ne pas répéter ses fautes. Elle a fini par prendre Khiva à la suite d’une campagne qui, au jugement de M. Stumm, fait grand honneur à ses soldats et à leurs chefs, et qu’on peut vanter, nous dit-il, comme le parfait modèle d’une expédition dans le désert, aussi bien préparée que bien exécutée et sagement conduite.

Sur un autre point, M. Hugo Stumm n’est pas moins affirmatif ; il n’hésite pas à déclarer que dans l’intérêt de l’humanité et de la civilisation il y a plus à se réjouir qu’à s’alarmer des rapides progrès de la Russie dans l’Asie centrale. Il a constaté pendant son séjour aux régions touraniennes la merveilleuse aptitude de la race slave à s’acclimater dans un pays étranger, à y faire accepter ses principes de gouvernement et d’administration, à s’assimiler les élémens de population les plus hétérogènes, à faire vivre en paix côte à côte le loup et la brebis sous l’autorité tutélaire d’un habile gouverneur-général. Il a constaté aussi combien les envahissemens de la Russie ont été profitables aux légitimes curiosités de l’esprit humain ; il a vu la science protégée par la lance du Cosaque, le naturaliste et le topographe suivant pas à pas la conquête dans sa marche hardie et s’appliquant à explorer des contrées mystérieuses ou presque entièrement inconnues. Il affirme enfin que dans aucun lieu et dans aucun temps on n’a pris plus de peine pour adoucir et corriger par des vues d’humanité les inévitables rigueurs de la guerre, et que les nouveaux maîtres du Turkestan doivent être considérés comme des pionniers de la civilisation. « Jusqu’au milieu de ce siècle, nous dit-il, le fanatisme le plus aveugle, la cruauté la plus raffinée, le despotisme le plus illimité, combiné avec les vices les plus repoussans, florissaient à l’envi sous l’indolente tyrannie des khanats mahométans. Les peuples, demeurés la plupart fidèles à leurs habitudes nomades, corrompus, désunis, maltraités par leurs potentats, se pillaient et se combattaient les uns les autres. Faut-il s’étonner que la partie de la population la plus tranquille, la plus sédentaire, la plus adonnée aux travaux de la paix, ait vu dans les Russes moins des conquérans que des libérateurs ? Si l’on considère les prodigieux changemens qui se sont