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Khiviens de leurs incessantes agressions, trop longtemps impunies, qu’après les avoir corrigés on se hâterait d’évacuer leur territoire. L’événement n’a pas tout à fait répondu à cette promesse. Par le traité qu’il a conclu avec ses vainqueurs, le khan s’est reconnu leur humble vassal, et il ne s’est pas seulement engagé à leur payer 22 millions de roubles en dix-neuf ans, il leur a cédé toute la rive droite de l’Amou-Daria et les terres attenantes qui avaient toujours passé pour appartenir au khanat. Khiva a été de fait incorporé à la Russie, et le gouvernement russe songe si peu à abandonner sa nouvelle conquête que sa principale préoccupation est de pourvoir à ce que ses avant-postes les plus éloignés ne soient plus en l’air et à les relier au cœur de l’empire par des voies de communication aussi rapides que sûres. Dans les contrées de l’Asie centrale, où les oasis alternent avec les steppes et les déserts sablonneux, où les tribus nomades succombent souvent à la tentation de détrousser les caravanes, où il faut combattre incessamment trois grands ennemis, les brigands, la soif et les distances, les trois objets de première nécessité sont un système de forts habilement disposés en cordon, des puits convenablement espacés et de bonnes routes stratégiques ; mais les bonnes routes sont souvent impraticables, et les meilleures sont insuffisantes. La Russie s’occupe de modifier tout le système de ses communications, et on apprenait ces jours-ci qu’une expédition scientifique et militaire était partie de Krasnovodsk pour explorer l’ancien lit ensablé de l’Oxus, lequel, comme on sait, se jetait jadis dans la mer Caspienne. On se propose d’utiliser cet ancien lit en le convertissant en canal. Si l’on y réussit, grâce au Volga, à la mer Caspienne, au canal et à l’Oxus, il existerait une ligne de communication par voie d’eau de Nijni-Novgorod et du centre de l’empire jusqu’à Koundouz, située sur les confins de l’Afghanistan. Déjà les Jérémies politiques de la chambre des communes annoncent que dans quelques années il sera possible à la Russie de transporter 80,000 hommes au cœur du Badakchan avant que les Anglais aient eu le loisir de se concentrer sur la frontière nord-ouest de l’Inde.

Ce genre de prophéties plus ou moins hasardeuses a peu de charmes pour l’orgueil anglais. Aussi, lorsque dernièrement un journal russe prit sur lui d’engager le royaume-uni à contracter avec la Russie une étroite alliance, qui ferait le bonheur des deux peuples et de l’Europe tout entière, la presse anglaise déclina froidement ces flatteuses avances. Elle répondit d’un ton morose que l’Angleterre entendait demeurer maîtresse de son avenir et de ses décisions, qu’elle n’était point disposée à se lier les mains, qu’au surplus elle savait faire la distinction de ses vrais et de ses faux amis, qu’elle avait l’habitude de se souvenir des mauvais procédés et peu de goût pour le métier de dupe. L’occasion parut bonne pour rappeler à la Russie qu’elle aimait jusqu’à la fureur