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au contraire que la fortune d’Oneida cessera avec la vie de son chef Noyés. Oneida et Wallingford représentent plutôt une vaste corporation manufacturière qu’une commune dans le vrai sens du mot, puisque les perfectionnistes n’agissent guère que comme contremaîtres à la tête de travailleurs payés.

Il ressort des notes de M. Nordhoff, prises avec autant de soin que d’impartialité, produites sans déguisement et sans commentaires, 1° que les communistes américains sont supérieurs aux fermiers et aux artisans du même pays par l’ordre, la méthode, l’économie, et donnent à d’humbles travaux une dignité qu’ils n’ont point ailleurs, 2° que leurs divers systèmes rendent l’oisiveté impossible, les paresseux se trouvant eux-mêmes forcément poussés par cet engrenage inexorable. Depuis près d’un siècle que leur existence a commencé, ils n’ont eu rien à démêler avec les tribunaux ; leur probité est proverbiale, ils pratiquent tous la bienfaisance, et ne peuvent être taxés de fanatisme ; sauf chez les perfectionnistes enfin, leur morale reste irréprochable aux yeux du monde. Ce qui est en outre évident, ce sont les avantages matériels qu’ils trouvent au « foyer unitaire, » leurs facilités toutes spéciales pour l’éducation des enfans, éducation primaire bien entendu, — il ne faut établir ici, une fois pour toutes, de comparaison qu’avec les classes laborieuses, que ces communes dominent de toute la hauteur de leur industrie, de leurs aspirations spirituelles et de leur prospérité temporelle. Le nombre en augmente sans cesse : l’année dernière encore une nouvelle société, dite de Social freedom, s’est formée dans la Virginie. Espérons qu’elles renonceront peu à peu au système d’isolement qui existe chez la plupart d’entre elles, et que les trembleurs surtout, ces frères moraves des États-Unis, livreront leur ingénieuse organisation à l’étude et à l’imitation des travailleurs du dehors. L’Europe, cela va sans dire, n’aura rien à leur emprunter, sous peine de retomber dans des erreurs depuis longtemps vouées à l’exécration et au ridicule ; ce n’est pas dans un pays où les grands centres de population sont rapprochés les uns des autres, où le luxe est devenu un besoin comme inévitable résultat des richesses acquises, où la propriété enfin repose sur une base solide consacrée par les siècles, que le communisme peut exister ailleurs qu’à l’ombré des cloîtres. L’excellente leçon, fondée sur l’expérience, qui se dégage du livre de M. Nordhoff s’adresse aux pionniers, aux émigrans de tous les pays. Elle leur prouve que le travail de colonisation doit gagner à être au moins coopératif, et que, fût-ce pour quelques années seulement, les nouveau-venus dans un pays inculte font bien de mettre leurs efforts en commun, quitte à se partager ensuite le résultat de ces efforts réunis.


TH. BENTZON.