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plus grandes dimensions. On remarque aussi, comme plus vastes que les autres, les maisons où ont lieu les repas. Chaque famille a sa demeure séparée, mais un coup de cloche réunit hommes, femmes et enfans dans une même salle, à des tables distinctes ; on pense empêcher ainsi les conversations oiseuses et les manières libres. Ce sont les jeunes femmes qui font la cuisine sous la surveillance des matrones ; on porte leurs repas aux malades et aux personnes retenues par le soin de jeunes enfans. La chère est abondante : la bière, le vin, le tabac, sont permis. Le travail est organisé à peu près comme chez les trembleurs, réglé tous les soirs pour le lendemain. Les enfans des deux sexes vont à la même école de six à treize ans ; l’instruction est des plus élémentaires, on insiste surtout sur la Bible et le catéchisme, sans négliger la musique notée ; mais les instrumens sont défendus. Les hommes portent des vestes boutonnées jusqu’au menton, les femmes des étoffes de couleur sombre taillées à la mode des paysannes allemandes ; elles emprisonnent leurs cheveux dans une sorte de béguin noir qui ne couvre que le chignon, et dissimulent leur taille au moyen d’un fichu, tout ornement leur est interdit ; elles sont, la prophétesse Barbara exceptée, tenues en médiocre estime et redoutées comme dangereuses à la paix de l’âme. Un précepte enjoint d’éviter tout entretien avec elles comme un aimant funeste, un feu magique. Aucun amusement, quelque innocent qu’il soit, ne réunit les jeunes filles et les jeunes garçons, ce qui n’empêche pas l’amour de se glisser dans la colonie d’Amana comme ailleurs. La plupart des hommes attendent impatiemment l’âge de vingt-quatre ans, avant lequel il ne leur est pas permis de se marier. Les noces sont célébrées avec toute l’austérité possible, et les nouveaux mariés descendent par le seul fait de leur union à la dernière des trois classes spirituelles entre lesquelles est répartie la société, quitte à mériter ensuite par leur ferveur de remonter au premier rang.

Le gouvernement civil d’Amana est entre les mains de treize administrateurs, élus chaque année par la partie masculine de la population et qui choisissent eux-mêmes un président ; cette administration s’occupe des finances et des affaires temporelles en général, mais n’agit qu’avec le consentement unanime de ses membres, qui individuellement n’exercent aucune autorité spéciale. Les anciens, désignés par inspiration, président les assemblées religieuses ; ce ne sont pas nécessairement des vieillards, mais ce sont des hommes vertueux entre tous. Quiconque s’abandonne tout entier et toute sa vie à la volonté de Dieu reçoit le Saint-Esprit en échange ; telle est la foi profonde des sectaires d’Amana. Ils se recrutent surtout parmi les luthériens, cependant ils comptent aussi des catholiques et plusieurs Juifs ; ils sont trinitaires, croient à la justification par la foi, à la