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manifestations du monde invisible se produisirent parmi eux : tantôt c’étaient des enfans qui tombaient sans connaissance pendant que sur leurs lèvres se succédaient les questions et les réponses touchant des sujets mystérieux, tantôt les frères ou les sœurs étaient emportés dans des danses quasi aériennes, parlaient de nouvelles langues ou prophétisaient. La révolution française de février 1848 fut annoncée ainsi, mais en termes suffisamment obscurs, croyons-nous.

Malgré les illusions et les superstitions qui l’entachent, la doctrine des trembleurs conduit ses adeptes, il faut l’avouer, à de grandes vertus. Ces sectaires sont renommés pour leur honnêteté scrupuleuse dans les transactions commerciales, pour leur charité envers tous, amis et ennemis, pour leur tempérance, les soins touchans qu’ils ont des malades, des vieillards et des abandonnés. Ils n’acceptent de nouveaux membres qu’avec une grande prudence et les envoient d’abord au noviciat, qui a plus de rapports que l’église proprement dite avec le monde extérieur, où la société compte quelques affiliés, retenus par des considérations soit d’affaire, soit de famille, tout en suivant la règle.

La famille ou commune se compose ordinairement de quatre-vingts ou quatre-vingt-dix personnes de tout âge, habitant la même maison. Chaque famille est dirigée par deux anciens, un homme et une femme, et la société tout entière par un ministère qui compte ordinairement quatre membres de chaque sexe : on exige d’eux une réputation sans tache et une grande expérience des choses spirituelles. Ils confient aux frères et sœurs tels emplois qu’ils les jugent dignes de remplir, et se perpétuent eux-mêmes en nommant leurs successeurs. Jamais les membres de la société ne sont consultés, le ministère décide de tout, et est supposé recevoir d’en haut les révélations nécessaires. Le travail manuel est si rigoureusement prescrit aux shakers que les chefs eux-mêmes, les quatre anciens qui forment le ministère de Mount-Lebanon, exercent la profession de vanniers ; ils ont une petite boutique à part près de l’église. La propriété de chaque société est pour plus de commodité entre les mains d’administrateurs, mais chacune des familles qui composent la société tient ses comptes et fait ses affaires séparément.

Les membres de la famille se lèvent à quatre heures et demie en été, à cinq heures en hiver ; à neuf heures et demie du soir, tous les feux sont éteints. Réunis dans la même salle, les hommes à une table, les femmes à une autre, les enfans à la troisième, ils prennent les trois repas du jour en silence ; avant et après, ils s’agenouillent un instant, cérémonie répétée quand ils se lèvent et se couchent. Chaque frère est confié à une sœur qui prend soin de ses vêtemens,