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de ces ouvrages, les travaux sur l’histoire naturelle des États-Unis occupent une place des plus honorables. Parmi les contemporains de l’illustre naturaliste, on trouve des investigateurs qui, à force de patience et d’habileté, ont su découvrir les particularités les plus intimes, les traits les plus délicats de l’organisation des êtres animés : à ceux-ci peut-être la postérité accordera-t-elle le premier rang ; mais Agassiz, croyons-nous, sera toujours considéré comme le principal révélateur de l’histoire du monde dans ses phases successives. Philosophe, il a regretté d’être d’un temps où la sagesse est souvent moins prisée que l’audace. En présence de l’immensité des richesses de la nature, il a vu avec chagrin une partie de la jeunesse qu’il conviait à l’étude reculer devant le labeur et acclamer les idées qui conduisent à paraître devant la foule plein de science sans avoir été à la peine. Lui, le sage qui adore le Créateur dans ses œuvres et pense l’honorer en proclamant des vérités manifestes comme la lumière du soleil, il a vu avec douleur repousser ces vérités au nom de la foi.

Agassiz a dû être consolé par un triomphe sans égal. Il a eu la gloire de répandre l’instruction scientifique chez un grand peuple. Dans un pays où les sciences étaient cultivées avec distinction, mais dans des limites resserrées, il a eu le bonheur de susciter l’enthousiasme pour les découvertes et d’amener à l’investigation une foule de gens habiles. Doué des qualités natives les plus heureuses, le jeune professeur de Neuchatel ou le vieux professeur de Cambridge a pu acquérir dans la société une influence et une prépondérance qu’obtiennent bien rarement les hommes supérieurs, même ceux qui sont animés des meilleures intentions. Agassiz faisait pardonner son mérite et chérir son immense savoir par la droiture du caractère, par l’air naturel et enjoué, par la simplicité des manières, par le charme d’une parole entraînante. Il a usé de ces avantages pour réaliser de grandes choses, et le peuple américain en a profité pour mieux s’instruire. Le musée zoologique, ce monument légué par l’illustre naturaliste à sa patrie d’adoption, est aujourd’hui confié à des mains qui en connaissent le prix. Un fils, que l’on cite dans la science pour des travaux remarquables, conservera les traditions paternelles[1].

Un savant de premier ordre, un philosophe profond, un de ces hommes qui honorent l’humanité, a disparu ; une œuvre colossale reste sans partage le bien de toutes les nations civilisées.


EMILE BLANCHARD.

  1. M. Alexandre Agassiz.