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à d’énormes profondeurs, et l’on avait trouvé la vie répandue à profusion dans les abîmes. Des formations géologiques que l’on croyait ne s’être produites que pendant une période très ancienne avaient été reconnues toujours en activité. Des espèces animales dont on n’avait vu encore que des débris fossiles, des types que l’on supposait éteints depuis des époques très reculées, avaient été amenés tout vivans à la lumière. Ces témoins, qui venaient attester que beaucoup d’êtres avaient échappé à de grands bouleversemens du globe, apportaient aux naturalistes une révélation inattendue[1]. Sur les côtes de la Scandinavie, dans les parages des îles britanniques, les explorateurs avaient eu de merveilleux succès. De l’autre côté de l’Atlantique, depuis l’année 1867, M. F. de Pourtalès, un compatriote du professeur de Cambridge, poursuivait avec infiniment de bonheur des recherches sur les fonds de la mer. En 1869, les études des hydrographes américains portaient sur la partie du gulf-stream comprise entre La Havane et la Floride. M. de Pourtalès continuait les opérations de dragage ; émerveillé des découvertes des années précédentes, Agassiz ne put résister au désir de prendre aux travaux une part active. Dans le ravissement à la vue de la singularité des types et de l’abondance des individus de chaque espèce que la drague ramenait des grandes profondeurs, il eut des ardeurs juvéniles à l’idée que, les caractères des matériaux accumulés au fond de l’océan se trouvant reconnus, on aurait un guide d’une sûreté incomparable pour déterminer dans quelles conditions se formèrent autrefois les dépôts sédimentaires.

C’était trop de fatigue d’esprit ; Agassiz, qui ne cessait de se prodiguer pour l’enseignement et pour l’arrangement d’un vaste musée, fut frappé d’un accident cérébral ; de longs jours sa vie resta en danger. A peu près remis de cette terrible secousse, se décidera-t-il enfin à prendre un repos vraiment indispensable ? Point, le savant veut toujours s’instruire ; il ne peut se désintéresser des entreprises qui promettent à l’esprit humain de nouvelles conquêtes. En 1871, le gouvernement fédéral des États-Unis avait décidé une expédition ayant pour mission d’opérer des sondages dans la mer des Antilles, ainsi que sur les côtes orientales et occidentales de l’Amérique du Sud, en remontant dans l’Océan-Pacifique jusqu’à San-Francisco. Il s’agissait d’étudier le gulf-stream, la température de l’Océan à ses diverses profondeurs et les populations animales. A l’âge de soixante-quatre ans, presque épuisé par les fatigues d’une existence trop laborieuse, il ne s’effraie pas à la perspective d’un long et pénible voyage sur un petit navire qui devra doubler le cap Horn[2]. Ce naturaliste, longtemps attaché à la croyance qu’à

  1. Voyez, dans la Revue du 15 janvier 1871, la Vie dans les profondeurs de la mer.
  2. Le navire le Hassler, dont le voyage a eu an grand retentissement.