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époques où ces barrières ne s’étaient point encore élevées. A l’heure présente, des travaux partiels répandant déjà des clartés sur certaines transformations du globe, le philosophe s’anime à la pensée de voir réunis tous les élémens qui feraient jaillir la pleine lumière sur l’ensemble des phénomènes de la vie. Agassiz s’enflammait à la perspective de toute notion permettant de remonter vers l’origine des choses. Dans son ardeur, il aurait voulu épuiser toutes les sources d’information si lentes à découvrir, et pour lui, comme pour quelques autres, c’était un chagrin de sentir les forces humaines bien petites pour l’accomplissement d’une tâche gigantesque lorsque l’esprit entrevoit au terme un merveilleux résultat.

L’auteur des recherches sur les poissons fossiles médite touchant les êtres de structure identique disséminés sur de vastes étendues et dans des régions n’offrant entre elles aucun rapport ; il tire de l’extrême dissémination la preuve que ces espèces échappent à l’influence des agens physiques. Mettant en contraste la remarquable ressemblance des plantes et des animaux des contrées septentrionales de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique, et l’étonnante différence des flores et des faunes de l’Australie, de l’Afrique et de l’Amérique du Sud sous les mêmes latitudes, il restera persuadé que l’action des climats ne suffit pas à rendre compte de la répartition des êtres. A cet égard, aucun observateur n’élèvera d’objection. Poussant la hardiesse plus loin que ne le feraient beaucoup de naturalistes, plus loin sans doute que ne le conseille la sagesse dans l’état actuel de nos connaissances, il déclare avec conviction que ni une plante ni un animal n’a pu prendre origine sur un point unique de la surface du globe pour se répandre ensuite dans un rayon plus ou moins large. Il croit que dès les commencemens les pins ont constitué des forêts, les bruyères des landes, les bœufs des troupeaux, les harengs des bandes interminables. Une fois sur cette pente, il admet que « tous les animaux comme tous les végétaux ont occupé dès l’origine les circonscriptions dans lesquelles on les voit établis, entretenant les uns avec les autres des rapports profondément harmoniques. » Au sentiment du professeur de Cambridge, en ceci moins réservé qu’il ne se montre d’ordinaire à l’égard des questions encore obscures, on opposerait sans peine nombre d’observations qui prouvent l’extension graduelle d’une infinité d’espèces.

Agassiz s’arrête à la considération des animaux propres à une région, ayant en commun des caractères très frappans ou exceptionnels. L’Australie n’est-elle pas la terre des mammifères à poche : les marsupiaux ? Là domine ce type inconnu dans la plupart des autres contrées du globe. En Australie, il n’y a ni singes ni makis, point d’insectivores comme les taupes, les hérissons ou les