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ne découvrent que des rives hautes et abruptes ; des berges semées de cailloux sont interrompues par des pointes rocheuses couvertes de végétation. En arrière s’élève en pente douce un terrain où les trembles et les bouleaux se mêlent aux pins blancs. Au-delà, ce sont des roches nues couronnées d’arbres verts. On navigue d’abord entre une multitude d’îlots de sable ; plus loin, on passe près de grosses roches émergeant des eaux. La flottille suivait la côte orientale ; la plage voisine de l’embouchure de la rivière Montréal[1] parut aux voyageurs favorable pour une station. Pendant le voyage, à l’heure où la brise enfle doucement la voile, les Canadiens font entendre des chansons de l’autre siècle oubliées de la mère-patrie et toujours aimées dans l’ancienne colonie de la France. Au milieu de la nature sauvage du Lac-Supérieur, ces chants, qui expriment les sentimens d’une civilisation raffinée, sont d’un effet tout étrange. On atteint la rivière aux Crapauds[2] ; des Indiens qui se livrent à la pêche viennent sur leurs canots offrir du poisson contre de la farine et du tabac ; ces braves gens témoignent un profond dédain pour la monnaie, dont ils ignorent l’usage. Au cap Choyye, les roches qui s’élèvent à une hauteur énorme au-dessus de la surface du lac ne laissent entre elles que d’étroits passages. La pointe franchie, on trouve une baie charmante ; tout alentour c’est une succession de collines arrondies, si également boisées qu’aux rayons du soleil on croirait voir des tapis de gazon.

Michipicotin, sur la rive nord-est du lac, dans la contrée le principal poste de la compagnie de la baie d’Hudson, était un endroit indiqué pour une station. A peu de distance de la factorerie, on rencontre les chutes de la rivière Magpie, et plus haut une très remarquable cascade ; les bois sont proches. Néanmoins, sous les tortures qu’infligent les moustiques, les explorateurs cessent de s’occuper des beautés du paysage ; ils oublieraient presque l’intérêt de la science ; un des membres de l’expédition, ayant remonté la rivière à la recherche de plantes aquatiques, eut le visage dans un état effrayant. Sur la petite plaine où Agassiz vint s’établir avec sa troupe, la scène était vraiment curieuse : près des bâtimens de la factorerie contrastaient les cases des Indiens et les tentes blanches des voyageurs, les chiens affamés accouraient en quête d’un butin, les femmes indiennes et les enfans ouvraient des yeux étonnés. En quittant Michipicotin, les explorateurs, longeant la côte septentrionale, firent des stations à l’Ile-Royale, à l’île Saint-Ignace, au fort William, petit poste de la compagnie de la baie d’Hudson, et revinrent au détroit de Sainte-Marie par la rive méridionale.

  1. Plusieurs des cours d’eau qui débouchent dans le Lac-Supérieur portent les noms de Montreal-River, Black-River, White-River.
  2. Toad-River.