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explorations, avait hâte de parcourir le Nouveau-Monde. Une course dans les contrées du nord promettant d’être instructive, on résolut de faire une visite au Lac-Supérieur. Le 15 juin 1848-au matin, Agassiz partait de Boston en compagnie de quinze personnes, — naturalistes, étudians, amateurs, — et bientôt il se trouvait encore rejoint par deux savans de New-York. Chaque jour, en traversant des contrées à cette époque plus solitaires qu’elles ne le sont aujourd’hui, on examinait la nature du sol, de la végétation, de la population animale, et le professeur signalait des particularités caractéristiques, ou prenait occasion d’un détail pour se livrer à des aperçus généraux qui surprenaient et ravissaient tous ses compagnons de voyage. De Boston aux rives de l’Hudson, voici le sol poudreux, formé de matériaux détachés de roches situées à des distances souvent considérables ; sur les côtés des voies ferrées, les plantes d’Europe qui, aux yeux des Indiens, naissent sous les pas de l’homme blanc. En quelques endroits, il y a des forêts, et le maître ne manque pas de constater la variété des arbres ; de nombreuses espèces de chênes, de noyers, de hêtres, s’élèvent à côté d’ormes, de peupliers et de platanes ; ce n’est pas l’aspect uniforme des forêts de l’Europe centrale, où dominent seulement deux ou trois essences. En se dirigeant vers Buffalo à travers la plaine de Mohawk, on admire la fertilité du terrain d’alluvion ; on regarde avec curiosité les habitans, dont les traits décèlent l’origine allemande ou hollandaise. A partir d’Utica, la physionomie des contrées de l’ouest se prononce ; les forêts s’étendent au loin, par intervalles sur les parties découvertes apparaissent des cultures de blé ou de pommes de terre et se dressent des maisons bâties de troncs d’arbres.

La petite expédition se détourne un instant pour visiter les chutes du Niagara ; à cette époque de l’année, elles sont dans leur suprême magnificence. Au soir, Agassiz esquisse à grands traits le caractère de la contrée qu’on vient de parcourir. A l’ouest du lac Ontario s’étendent les masses granitiques qui sans doute formaient autrefois des îles. Les matériaux qu’apportent les rivières se sont accumulés sur les bords, et de la sorte les plus anciens dépôts dessinent des bandes autour des roches granitiques. Fait digne de remarque, dans l’Amérique du Nord les principaux bouleversemens se sont produits dans la direction du nord au sud ; en témoignent les fissures devenues les lits des cours d’eau du Connecticut, de l’Hudson, du Mississipi, des rivières du Maine, tandis que dans l’ancien continent les chaînes des Alpes, de l’Atlas, de l’Himalaya, sont parallèles à l’équateur. Aux États-Unis, la direction longitudinale des fissures est encore accusée par les lacs situés à l’ouest de New-York et par les lacs Huron et Michigan ; parfois cependant d’autres fissures coupent les premières à angle droit, ainsi que le