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caractère et des desseins des hommes d’état. Elle n’hésite pas à convenir que Paris est un très agréable séjour, mais elle s’exprime avec un souverain mépris sur le caractère français et montre le plus vif sentiment de la supériorité morale des Anglais. Je lui ai demandé quels hommes elle estimait le plus. Elle m’a nommé Molé, si comme il faut (gentleman-like), Thiers, plus brillant, plus animé et plus amusant, Guizot et Berryer, qu’elle regarde comme des hommes très supérieurs. »


Ce fut dans le cours de cette même année, le 21 juin 1837, que la princesse Victoria succéda à son oncle Guillaume IV. Greville rend justice au tact, à la bonne grâce, à la dignité de la jeune souveraine, qu’il a vue de très près. Ce fut lui qui dut chercher dans les archives le protocole des cérémonies usitées en pareille circonstance et apprendre leur rôle aux personnages intéressés. Aux détails donnés sur cette première journée d’un règne qui a justifié toutes les espérances, Greville ajoute un parallèle entre la reine et ses deux prédécesseurs, parallèle, il n’est pas besoin de le dire, qui est tout à la louange de la jeune souveraine.

Ici s’arrête le journal de Greville, dont la seconde partie se fera sans doute attendre assez longtemps. Si la première partie a été accueillie dans certaines régions avec un peu d’hostilité, somme toute, le succès en a été grand, et c’est justice quand il s’agit de tant de révélations de toute nature, si agréablement groupées par un homme bien instruit de tous les mystères de la société et du monde politique. On ne saurait absoudre entièrement du reproche de malveillance cet esprit naturellement frondeur et tant soit peu chagrin ; cependant Greville n’a jamais voulu se faire l’écho des bruits purement calomnieux, car voici ce qu’il écrit à ce sujet : « J’ai une répugnance invincible à faire de mes manuscrits un réceptacle de scandales et à les livrer à la postérité (si jamais la postérité s’inquiète de ces pages et prend la peine de les lire), et rien ne me serait plus pénible que de lui transmettre le souvenir des fautes ou des folies des gens que j’ai connus, de mes amis ou de mes proches. » C’est assez rarement en effet qu’il est question dans cette chronique journalière de faits qui ont occupé les loisirs de la meilleure compagnie, et dont le récit aurait certainement tenté Greville, s’il avait recherché un succès de mauvais aloi. On comprend seulement que, chez cet homme occupé de plaisirs, les influences énervantes du monde ont agi dans le sens qu’il indique lui-même quand il exprime le regret d’avoir donné une fausse direction à sa vie et d’avoir perdu la volonté nécessaire pour déployer ce qu’il possédait de facultés. Qu’on ne l’accuse pas non plus d’avoir trop présumé de lui-même lorsqu’il se reproche de n’avoir pas aspiré à devenir l’égal des hommes éminens dont il était entouré. Ses