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addition suffit à assurer la majorité. Jadis, les fonctionnaires du gouvernement, dont la principale affaire était de le soutenir au besoin, apportaient aux ministres un concours certain, mais aujourd’hui cette phalange domestique est bien dépassée en nombre par ces drôles qui ont pour chefs ceux que l’on nomme la queue d’O’Connell et les radicaux les plus avancés. »


Malgré le mépris que Greville exprime dans cette dernière phrase pour le grand agitateur, il convient plus loin que dans ces crises ministérielles O’Connell s’était conduit admirablement. Il laisse toutefois soupçonner qu’il a été désintéressé par quelque promesse, mais sans en donner autrement la preuve.

Au cours de son journal, Greville se montre très sévère à l’égard de tous les partis extrêmes, ultra-tories ou radicaux. Il a été parfois en maintes circonstances et avec raison accusé de partialité ; en somme, il laisse cependant l’impression d’un observateur attristé de la nature humaine, qu’anime un besoin sincère de justice et de vérité, et le spectacle que lui donnent les passions politiques ne l’irrite qu’en raison de leurs inévitables conséquences sur les destinées de son pays.

Nous avons déjà eu l’occasion de montrer quelle pouvait être la rude franchise de Guillaume IV. Le journal de Greville contient dans ses dernières pages un long récit qui a froissé le sentiment de respect qu’involontairement ou de parti-pris les Anglais portent toujours à leurs princes. Il s’agit d’une scène qui eut lieu à Windsor au jour anniversaire de la naissance de Guillaume IV. Toute la famille royale, légitime et illégitime, s’y trouvait réunie, et à sa tête la duchesse de Kent et la jeune princesse Victoria ; au beau milieu du banquet, en présence d’une centaine de convives, le roi, se levant tout à coup et prenant à partie sa belle-sœur, dont en effet il avait à se plaindre, prononça contre elle une tirade foudroyante que nous rapporte Greville tout au long. En voici les principaux passages :


« Je souhaite que Dieu me conserve la vie pendant neuf mois encore, puisqu’après ce terme, quand arrivera ma mort, il ne sera plus question de régence. J’aurai alors la satisfaction de laisser l’autorité royale entre les mains de cette jeune dame (montrant la princesse héritière présomptive de la couronne), et non dans celles de la personne que voilà près de moi… Je n’hésite pas à déclarer que j’ai été constamment et grossièrement insulté par cette personne… Parmi tant d’autres griefs, j’ai particulièrement à me plaindre de la manière dont la jeune princesse a toujours été éloignée de ma cour : jamais elle n’a paru à mes réceptions, auxquelles son devoir était d’assister ; mais je suis décidé à ce qu’il en soit autrement à l’avenir. Je veux qu’on sache