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dépensées en pure perte, au peu de profit qu’elles m’apporteront dans l’avenir, au petit nombre d’agréables souvenirs qu’elles m’ont laissé, un sentiment de douleur et d’humiliation me pénètre à ce point que je sens mon front rougir et brûler pendant que j’écris ces lignes. »


Pour échapper à des pensées aussi pénibles, Greville a recours à l’agitation stérile des distractions accoutumées. La conversation lui sert de principale ressource, et la princesse de Lieven se prête volontiers à favoriser par ses confidences le sentiment de l’insatiable curiosité qui fait diversion à ses ennuis. Elle lui communique ses observations sur le monde anglais, et leur esprit frondeur s’entend à merveille au sujet de la plupart des gens, qu’ils jugent impitoyablement. Nous rapporterons seulement ce passage, qui concerne lord Palmerston :


« Mme de Lieven m’a dit qu’il serait impossible de rendre le mépris et le dégoût que le corps diplomatique entretenait pour lord Palmerston, et, désignant Talleyrand, assis près de nous, elle ajoutait : « Surtout lui. » Les ministres étrangers ont la plus mince opinion de sa capacité ; avec eux, ses manières ne sont pas engageantes. Parmi ses collègues, son impopularité est tout aussi grande. »


Le cabinet s’étant divisé sur la question de l’église d’Irlande, Stanley et Graham commencèrent par s’en retirer ; le premier alla se replacer dans les rangs de l’opposition, démarche qui lui fut justement reprochée. Bientôt après le cabinet tout entier, à l’exception de Brougham, suivit leur exemple. Lord Melbourne reforma un nouveau cabinet whig, qui dura à peine quatre mois ; aussitôt le roi, qui avait hâte de se jeter de nouveau dans les bras des tories, remit à lord Wellington tous les portefeuilles vacans, en attendant le retour de Peel, alors en Italie. Les détails de cette brusque révolution ministérielle sont racontés d’une façon piquante dans le journal de Greville, qui note les informations reçues chaque jour directement du duc de Wellington ou du nouveau chancelier Lyndhurst. Ses amis, les ministres sortans, ne le tiennent pas moins au courant de ce qui se passe chez eux, et toutes ces versions provenant de sources si diverses se trouvent parfaitement confirmées par les documens officiels qui ont plus tard été publiés sur cette époque. Un fait qui s’est souvent reproduit lors des changemens de politique survenus en Angleterre est relaté avec des détails si curieux que nous n’hésitons pas à les citer presqu’en entier. Greville, ayant appelé l’attention du duc de Wellington sur l’utilité qu’il y aurait à s’assurer l’appui du Times, est chargé d’entamer une négociation avec le directeur du journal, M. Barnes, « l’homme le plus puissant de l’Angleterre, » selon l’expression de lord Lyndhurst. Barnes dicte lui-même