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cabinet. Durant cette courte et précaire administration, le gouvernement trouva moyen de faire enfin voter la réforme électorale, si longtemps disputée, sans recourir à la création de nouveaux pairs, et cette autre mesure, qui a été appelée le bill de coercition destiné à assurer une année de tranquillité à l’Irlande livrée à l’anarchie. Greville reconnaît, après en avoir désespéré, que l’esprit public a fait quelques progrès. Non-seulement à l’intérieur le pays est moins agité, mais la politique conciliante suivie au dehors permet d’espérer une détente générale dans la politique étrangère. En Angleterre, l’opinion devient plus favorable à la France. Les préjugés du peuple commencent à s’effacer. Il est d’autant plus curieux de voir le roi Guillaume IV les conserver pour sa part avec une obstination qui se refuse à tout raisonnement.


« Il déteste Louis-Philippe et les Français, dit Greville, avec une sorte d’animosité de Jack-Tar (sobriquet du matelot anglais). L’autre jour, il a donné à dîner à un des régimens de garde à Windsor, et ensuite, selon sa coutume, il a fait aux soldats un tas de discours absurdes, dans l’un desquels, s’étendant sur leurs exploits en Espagne contre les Français, il a ajouté : « Quant à la France, je vous dirai que, soit en paix, soit en guerre, je la considérerai toujours comme notre ennemie naturelle, et, qu’elle ait un roi à sa tête ou bien un dictateur quelconque, j’aurai toujours l’œil sur lui, afin de m’opposer à ses ambitieux projets. »


Quelques pages plus loin, nous lisons encore :


« 6 février 1834. Avant-hier, ouverture du parlement par un long et pâle discours du trône. Les points principaux en sont une diatribe violente contre O’Connell, c’est-à-dire contre les agitations de l’Irlande, suivie de chaleureux témoignages d’amitié pour la France. Il est curieux de comparer le langage tenu, dans ses momens d’abandon, à la suite des festins, par le vieil imbécile qui porte la couronne, avec celui que ses ministres lui fourrent dans la bouche. Le plus singulier, c’est que dans les deux cas les sentimens semblent exprimés avec une grande énergie et la même sincérité apparente. »


IV

Il y a eu, dans l’existence de Ch. Greville, une phase pendant laquelle il a noblement employé l’activité qu’il dépensait dans les occupations de sa vie mondaine à rendre de sérieux services à ses amis politiques. Lorsque cet intérêt vint à lui manquer, il retomba dans un découragement dont l’expression est parfois très amère.


« Hier, écrit-il à la date du 3 avril 1834, j’ai eu quarante ans accomplis… Quand je pense à l’inutile emploi de ces quarante années