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trouvent lord Grey et sa famille, M. de Montrond et Greville, le maître de la maison persiffle son hôte depuis le commencement jusqu’à la fin de la soirée, et le grave lord Grey s’amuse des tours d’écoliers que Sefton joue à son collègue, lequel ne paraît nullement s’en offenser. « Quelles que soient les erreurs politiques de Brougham, dit Greville, son bon caractère, ses admirables qualités sociales, son entrain, en font un délicieux convive, sans parler de ses mérites plus solides, de sa libéralité, de sa générosité et de sa charité, on peut le dire, car il a pris à sa charge, après la mort de l’un de ses frères, sa famille entière, qui n’est pas composée de moins de neuf enfans. »

Lord Grey en assumant sur lui le fardeau des affaires ne se dissimulait pas le danger de la lutte engagée sur le terrain de la réforme et des lois économiques. Le mal était si profond, les habitudes de corruption électorale si invétérées, qu’avec la division des partis la tâche pouvait sembler impraticable. Voici un exemple de la façon dont se faisaient les élections à l’heure même où le cabinet entrait aux affaires :


« L’élection qui vient d’avoir lieu à Liverpool, écrit Greville, a été une bataille acharnée. On dit qu’elle n’a pas coûté aux deux partis moins de 100,000 livres (2,500,000 francs), et qu’elle a donné le spectacle d’une corruption éhontée et d’une foule de marchés plus scandaleux que jamais… Le prix des tallys (groupes d’électeurs) et celui des votes individuels s’élevait comme une marchandise à mesure que croissait le nombre des demandes, au point que les votes individuels ont monté de 15 à 100 livres. Chaque groupe, après avoir voté pour l’un ou l’autre des candidats, se faisait donner un reçu avec lequel il se rendait au comité. Là ; ce reçu était passé à travers un guichet, et par un autre la somme stipulée était remise au porteur… Le droit de voter est funeste quand il est dévolu, dans les villes, à la pire canaille, toujours prête à se vendre ; mais là gît la difficulté de la réforme. Il faudrait avant tout réformer les électeurs. »


Le remède à ce mal, c’est-à-dire la réforme électorale, qui impliquait la suppression des bourgs-pourris, rencontrait encore, bien des opposans. Il fallait mécontenter un grand nombre de députés en possession de leurs sièges par une loi qui changeait les circonscriptions établies. Lord Grey n’hésita pas à entreprendre cette œuvre difficile, et Greville, tout en reconnaissant qu’il est capable de la mener à bien, mêle à quelques considérations sur sa politique des réflexions assez vives sur son caractère.


« Mon esprit, dit-il, s’était toujours abusé sur le compte de lord Grey. Tout ce que j’ai pu observer dernièrement me prouve qu’il n’y eut jamais d’homme plus surfait, plus estimé au-delà de sa propre valeur, ni